Les Vinâyaka
Qui sont les Vinayaka ?
Pour les textes anciens, les Vinâyaka sont des esprits malveillants et malfaisants, responsables de nombreux
problèmes qui assaillent les êtres humains, troublant leur esprit, les rendant incapables de décision,
les affaiblissant par des maladies diverses, souvent mentales. Ils sont responsables de nos misères,
malchances, pertes et défaites, et vont jusqu'à prendre possession de nous. Les Vinâyaka ne se
réfrènent de commettre de mauvaises actions que si on les a correctement vénérés par
des rites. C'est pourquoi il est prescrit de pratiquer des rites d'apaisement avant d'entreprendre quoi que ce soit
d'important.
Un Vinâyaka incarne donc un empêchement, un obstacle.
Cependant, de nos jours et à première vue, on pourrait croire que la plupart des gens considèrent
Vinâyaka et Ganesh comme des termes similaires et désignent strictement la même divinité à
tête d’éléphant. Dans divers ouvrages, la position adoptée est aussi la même. D'ailleurs,
si l'on prend pour exemple ce que l'on peut constater dans une ville comme Varanasi où les
petits oratoires habités par des Ganesh ou des Vinâyaka sont nombreux, leurs représentations sont
exactement semblables (statue assez fruste, couleur vermillon). De plus, au Tamil Nadu, Ganesh est désigné
communément en tamoul sous le nom de Vinayagar ou Vinayakar c'est à
dire une divinité parfaitement bienveillante que l'on prie avant toute entreprise car elle a la capacité
d'écarter tous les obstacles.
Les hindous font pourtant parfaitement la différence entre Vinâyaka et Ganesh et si, de nos jours, une
analyse rapide pourrait conclure qu'il s'agit de la même divinité, il semble, d'une part, qu'il n'en ait pas
toujours été ainsi et d'autre part, que même maintenant, Vinâyaka et Ganesh ne soient pas
totalement synonymes.
Nombre de Vinâyaka
Les Vinâyaka sont en nombre incommensurable mais des textes sacrés très anciens
énumèrent les plus importants dont il convient de s'attirer la bonne humeur. Au nombre de 4, 10 ou 16,
portant des noms différents, ils sont reconnus comme des entités malveillantes capables de mettre sur
la route des gens toutes sortes d'obstacles. Il convient donc de les amadouer par des sacrifices.
On ne pense pas qu'à cette époque existaient des représentations de ces esprits.
Les noms des Vinâyaka principaux varient selon les textes :
D'après le Mânava-grihya-sutra (5-7ème siècle avant notre
ère), il existe quatre Vinâyaka : Shala-katankata, Kûshmândarâjaputra, Usmita,
Devayajana
Le Baijavâpa-grihya-sutra fournit une autre liste : Mita, Sammita,
Shalakatankata, Kûshmânda.
Le Yâñavalkyasmrti (1er au 3ème siècle de notre ère) le
Shalakatankata est scindé en deux entités : Shala et Katankata.
D'autres sources insistent sur l'association ancienne de Ganapati avec les Sapta
Matrika (Sept Mères Divines). Cette association suppose des actes de vénération
s'adressant aux Mères ainsi qu'aux six Vinâyaka suivants : Moda, Pramoda, Sumukha, Durmukha, Avighna et
Vighna-kârta. Cependant, l'association n'est pas faite entre les Mères et les Vinâyaka, mais entre
les Mères et Ganesh, à travers Gauri, la première des Mères...
On trouve encore d’autres références scripturales indiquant, selon les cas, huit, vingt et un ou
même cinquante et un Vinâyakas associés, dans ce dernier cas, chacun avec sa Shakti et l’une des
lettres de l’alphabet sanscrit.
Des textes de rituels prescrivent l'apaisement de 21 Vinâyaka : Mita, Sammita, Shala, Katamkata,
Kûshmânda, Râjaputra, Vyomakesha, Pârvatî, Bhîmaja, Krishnasya-pitâ,
Arka, Ara, Sita, Dhishana, Kleda-putra, Kona, Lakshmavanta, Vidhim-tuda, Ketu, Bâhuleya,
Nandakasya-dhârî. Cependant, le rituel n'insiste que sur cinq de ces Vinâyaka.
Le plus grand nombre de sites où les Vinâyaka sont vénérés sont situés
au Maharastra et, d'une manière plus générale, dans les lieux de grands pèlerinages
populaires.
Les Vinâyaka au Maharastra
Les Ashta-Vinâyaka du Maharastra sont comme ce nom l'indique (ashta
signifie huit), au nombre de huit : Sri Mayureshvar à Morgaon, Sri Ballaleshwar (=Vallala-Vinâyaka) à
Pali, Shri Chintamani (=Vighna-hara-Vinâyaka) à Theur, Shri Siddhivinâyaka
(=Madhu-kaitabha-Vinâyaka) à Siddhatek, Shri Mahaganapati (Tripurari-Vinâyaka) à
Ranjangaon, Shri Girijatmajvinayak à Lenyadri, Shri Vighneshvar à Ozhar et Shri Viradvinayaka à Mahad.
Toujours au Maharastra (qui concentre beaucoup de ces sites, ayant été le berceau et l’aire de
développement des cultes Ganapatiya dès le début du 2ème millénaire) :
Chintamani-Vinâyaka à Kalamba, Shami-Vinâyaka à Adosha, Mangala-Vinâyaka à
Pariner, sur les rives de la Narmada, Vijnana-Vinâyaka à Rakshasa-bhuvana près de Jalna, sur la
ligne Kachi-Guda-Manmad, Lakshmi-Vinâyaka à Verula, près d’Ellora, Sahasrarjuna-Vinâyaka
à Padmalaya, Bhushundi-Vinâyaka à Namalgaon et enfin Sindura-Vinâyaka à Rajur.
On cite encore d’autres localités où
sont vénérés avec ferveur des Vinâyaka fameux :
Mangalamurti de Chincharvad (Chinchwad)
Trishuna, près de Nagjhari, et
Kasaba (une image swayambhu, également connue sous le nom de Jayanti Ganapati)
dans la ville de Pune, dont il est le gram-devata (divinité tutélaire)
Les Dholya-Ganapati de Satara, Hingula-Ganapati de Nasik, Chaumukhi-Gajanana de
Kadambapur (des formes de Vinâyaka gravées sur les quatre faces d’un rocher, dont la principale connue
sous le nom de Chintamani-Vinâyaka, sont autant d’autres Vinayâka du Maharastra.
Malgré sa concentration sur le Maharastra, le culte des Vinâyakas s’est répandu en d’autres
régions. La primauté mise sur les cultes et croyances locaux envers les Vinâyaka s’est trouvée
renforcée par la pratique de dédier les premières offrandes à Vinâyaka
(identifié alors à Ganapati).
Les Vinâyaka en Uttar Pradesh
Le cas le plus flagrant et le plus profus est celui des Vinâyaka de Varanasi, au nombre de 56. Ce ne
sont pas de simples noms de la même divinité, mais des divinités différentes,
positionnées en des lieux très spécifiques de la ville, selon le diagramme (mandala) qui en
régit l’espace sacré.
Ces Vinâyaka sont répartis en sept cercles concentriques. Leurs noms sont les suivants :
Premier Cercle
Arka-Vinâyaka
Durga-Vinâyaka
Bhima-chanda-Vinâyaka
Dehali-Vinâyaka
Uddanda-Vinâyaka
Pasha-pani-Vinâyaka
Kharva-Vinâyaka
Siddhi-Vinâyaka
Second Cercle
Lambodara-Vinâyaka
Kuta-dantavnayaka
Shala-katankavinâyaka
Kushmanda-Vinâyaka
Munda-Vinâyaka
Vikata-dantavinâyaka
Rajaputra-Vinâyaka
Pranava-Vinâyaka
Troisième Cercle
Vakratunda-Vinâyaka
Ekadanta-Vinâyaka
Trimukha-Vinâyaka
Panchasya-Vinâyaka
Heramba-Vinâyaka
Vighnaraja-Vinâyaka
Varada-Vinâyaka
Modakapriya-Vinâyaka
Quatrième cercle
Abhaya-Vinâyaka
Simhatunda-Vinâyaka
Kunitaksha-Vinâyaka
Kshipra-prasada-Vinâyaka
Chintamani-Vinâyaka
Danta-hasta-Vinâyaka
Pichindila-Vinâyaka
Uddanda-munda-Vinâyaka
Cinquième cercle
Sthula-danta-Vinâyaka
Kalipriya-Vinâyaka
Chaturdanta-Vinâyaka
Dvi-tunda-Vinâyaka
Jyestha-Vinâyaka
Gaja-Vinâyaka
Kala-Vinâyaka
Nagesha-Vinâyaka
Sixième cercle
Mani-karna-Vinâyaka
Asha-Vinâyaka
Srishti-Vinâyaka
Yaksha-Vinâyaka
Gaja-karna-Vinâyaka
Chitra-ghanta-Vinâyaka
Sthula-jangha-Vinâyaka
Mangala-Vinâyaka
Septième cercle
Moda-Vinâyaka
Pramoda-Vinâyaka
Sumukha-Vinâyaka
Durmukha-Vinâyaka
Gana-natha-Vinâyaka
Jnana-Vinâyaka
Dvara-Vinâyaka
Avimukta-Vinâyaka
On constate ainsi que les Vinâyaka portent les mêmes noms que Ganesh, ce qui n’est pas étonnant
si l’on considère que Vinâyaka est Ganesh sous sa forme maligne et perturbatrice.
Malgré cette liste impressionnante des Vinâyaka de Varanasi, les pèlerins, lors de leur
circumambulation des 108 temples principaux de la ville (le panchakrosi-parikrama, réalisé en cinq jours
-80 km-, pieds nus et en jeûnant), ne visitent qu’une dizaine de Vinâyaka, ceux dont les noms sont
en caractères gras dans la liste ci-dessus, concentrés, on le voit, dans le premier et le
septième cercle. Ces Vinâyaka sont donc les plus importants ou, pour dire autrement, ce sont ceux dont
l’influence est telle qu’il est nécessaire de les adorer afin de s’attirer leurs bonnes grâces.
On rapportera enfin, à Varanasi, le cas du Dhundi-Raja (=Dhundi-Vinâyaka), qui ne figure bizarrement
pas dans la liste des 56, bien que très vénéré par tous les passants dans le quartier
central de la vieille ville, non loin du temple de Vishvanath (temple d'Or).
Un autre lieu en Uttar Pradesh est Prayag (au confluent de la
Ganga et de la Yamuna, près d’Allahabad), où se tient le Vinâyaka Pranaveshvara.
Les Vinâyaka au Madhya Pradesh
Des Vinâyaka se rencontrent dans d’autres centres de pèlerinage. A Ujjain (Madhya Pradesh), par exemple,
où six Vinâyaka sont visités par les pèlerins; on retrouve les quatre derniers des dix
de Varanasi, plus deux autres que sont Avighna-Vinâyaka et Vighna-kartr-Vinâyaka, dont les noms ne
figurent pas dans la liste de Varanasi…
Les Vinâyaka au Karnataka
Vinâyaka du temple de Vishnumurti, Attavara, près de Mangalore
Vinâyaka ancien du temple d’Udyavara
Vinâyaka ancien du temple de Kigga, près de Sringeri
Swayambhu-Vinâyaka, Beluru, Kundapura
Swayambhu-Vinâyaka, Udayadri, Padubidure
Swayambhu-Vinâyaka, temple d’Hebri, Karkala
Vinâyaka en bois du temple de Durga à Kemmannu près d’Udipi
Vinâyaka ancien retrouvé près de Sringeri, maintenant au College
Museum
Vinâyaka ancien du temple de Kirimanjeshvara, Kundapura.
Autres Vinâyaka
Tamil Nadu : Shveta-Vinâyaka à Kumbakonam
Andhra Pradesh : Bhalachandra Vinâyaka à Ganga-Masale sur la
rivière Godavari et probablement Anala-Vinâyaka à Vijayapura, dont il est dit qu’il est en
contrée Telugu mais l’identification du lieu est incertaine
Orissa : On connaît cinq Vinâyaka à Puri : Ucchhistha-Vinâyaka,
Nritta-Vinâyaka, Kalpa-Vinâyaka, Chara-Vinâyaka et Siddhi-Vinâyaka, seul le dernier figurant
dans la liste des 56 (au rang 1/8) de Varanasi.
Deux derniers Vinâyaka cités dans les textes mais dont la localisation n’est pas encore
assurée : Kashyapasharama et Jalesha-pura.
Les groupes de Vinâyaka
Il semble légitime de considérer les Vinâyaka par groupes, comme les dix (ou les 56) de
Varanasi, les six d’Ujjain, les huit du Maharastra (Ashta Vinâyaka), et encore les cinq de Puri (Orissa).
Mythe de la naissance de Vinâyaka
On rapporte un mythe intéressant sur l’origine des Vinâyakas. Un jour les Dieux et les Sages
s’inquiétèrent parce qu’il leur apparut que les personnes bonnes, sur terre, rencontraient constamment
des difficultés et des obstacles, cependant que les méchants semblaient accomplir leurs mauvaises actions
avec facilité. Ils se rendirent auprès de Shiva et le supplièrent de créer des obstacles
pour les mauvaises personnes. Shiva regarda attentivement Pârvatî et une pensée lui traversa l’esprit à
ce moment là : les quatre éléments que sont la terre, l’eau, le feu et l’air sont chacun pourvu
d’une forme mais le cinquième élément, l’éther, qui cependant fournit son support aux
autres, n’en a pas. Cette idée le fit sourire. Et, dans l’éclat qui accompagnait ce sourire, surgit un
superbe garçon qui illumina les quatre horizons tant il paraissait semblable à Rudra Lui-même.
Dès qu’elles le virent, toutes les femmes assemblées là le trouvèrent charmant ; même
Pârvatî le contempla avec amour. Shiva, indigné, maudit ce garçon qui se retrouva
instantanément avec une tête d’éléphant, un ventre rebondi et le cou ceint de serpents ! !
Encore furieux, Shiva secoua le corps du garçon, et tout autour, apparurent d’innombrables Vinâyakas,
tous porteurs d’une tête d’éléphant, de peau sombre, d’allure farouche et arborant dans leurs mains
des armes terribles. Le Monde fut à nouveau secoué et troublé par leur seule présence.
Brahmâ, le créateur, comprit le sens de ce qui se passait et expliqua que maintenant l’éther avait pris
forme. Shiva s’adressa à ce garçon qui était né de son sourire et dit : "Tu seras le
chef de ces terribles Vinâyakas. Ton nom sera Ganesh et ton rôle sera de créer des obstacles
à toutes les entreprises, toutes les actions, qu’elles soient sacrées ou laïques, à moins
que l’on ne T’aies auparavant prié".
Selon le Brahma-Vaivarta-purâna, Vinâyaka reçut huit noms ce jour là :
Ganesh, le Seigneur des hordes, Maître de la Sagesse et du Salut, Ekadanta,
le Seigneur à la défense unique, Heramba, le protecteur des orphelins,
Vighnayaka, le Seigneur qui lève les obstacles, Lambodara, le
Seigneur au ventre colossal qui absorbe toutes les offrandes, Shurpakarna, le Seigneur aux larges oreilles comme des vans
qui éloigne les ennuis, Gajavaktra, le Seigneur au visage d’éléphant et
Guhagraja, le Seigneur frère aîné de Gruha (=Kartikeya), fils de Rudra (=Shiva).
Evolution du concept de Vinâyaka
On constate, selon le Brahma-Vaivarta-purâna cité plus haut, que les noms de Vinâyaka sont aussi des
noms de Ganesh. On avait déjà vu cette convergence dans les noms des 56 Vinâyaka de Varanasi.
Selon l'important Yâjñavalkya-smriti, également déjà cité, qui est
relativement tardif, il n'existe en fait qu'un seul Vinâyaka, sous de nombreux noms, comme :
Bhûtanâtha, Ganâdhipa...
Ce même texte donne ainsi, à (aux) Vinâyaka, des caractéristiques nouvelles qui le rapprochent
du concept de Ganesh :
Vinâyaka est désigné comme chef des Gana par Rudra (Shiva) et Brahmâ;
il est donc Ganapati
Vinâyaka possède une seule dent (Ekadanta = Dantin), et sa trompe est tordue
(Vakratunda), épithètes qui s'appliquent à Ganesh
La mère de Vinâyaka est Ambika (elle sera connue comme
Pârvatî plus tardivement encore)
Les rituels de pacification des Vinâyaka, qui
exigeaient, dans des temps anciens, l'invocation de divinités non védiques, ne demandent plus, pour
propitier le Vinâyaka que l'invocation de
déités védiques.
Il est donc probable, que Ganesh, initialement Maître des Vinâyaka-gana (Vighna-nayâka), a
été ensuite assimilé à Vinâyaka lui-même.
Aux alentours du début de notre ère, ou peut-être avant, la vénération et le respect
dont on entourait traditionnellement l'éléphant, bête puissante, intelligente mais pouvant
être dangereuse, semble s'être focalisée sur une divinité anthropomorphe à tête
d'éléphant qui fut finalement désignée, après maints changements, sous le nom de Ganesh.
Au bout du compte, Ganesh a progressivement émergé comme, à la fois le Seigneur des
Obstacles (Vighneshvara, le Vinâyaka Suprême), Celui qui les crée quand il n’est
pas convenablement vénéré au commencement de toute action importante (à ce moment là
il est Vighna-kartr) et Celui qui les éloigne, quand il est favorablement disposé (à ce moment
là il est Vighna-hartr). Il est donc l’Obstacle et le Maître de l’Obstacle.
Le mot Ganesh vient étymologiquement de Gana et Isha ; Isha, c'est le Seigneur, le Maître, et les Gana
sont les petits génies, serviteurs de Shiva. On connaît également Ganesh sous le nom de Ganapati dont
l'étymologie est tout à fait similaire : elle vient de Gana et de Pati qui veut dire Maître
(comme Pashupati - Maître du troupeau, désigne une forme antique de Shiva).
Les Ganas sont brouillons, folâtres, prêts à la bagarre et à faire des bêtises.
Ganesh fut donc, tout d'abord, le dieu capable de mettre sur notre route extérieure ou intérieure toutes
sortes d'obstacles : il exprimait ainsi la capacité maligne de ses Ganas. Mais Ganesh est foncièrement
généreux, bon et amical. Par ailleurs, il comble ses fidèles de ses bénédictions.
Dans l'hindouisme actuel, Ganesh est une force bienveillante et paisible, et les Vinâyaka-Ganas se sont fondus
avec Lui dans une conception globalement positive.