Société et religion en Inde

 

Plan du chapitre

Introduction
Place de la vache
Essayer de comprendre les castes
La femme en Inde
Propreté et pureté
Comportement de l'homme en société
Santé et alimentation
Aperçu sur l'artisanat
Inde : archaïque ou moderne ?
Quelques éléments sur l'Hindouisme

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Introduction

Même si l'on aime l'Inde, et c'est mon cas, ce n'est pas un pays facile. Je n'ai pas, ici, cherché à gommer les dures réalités sociales. Mon propos n'est pas d'écrire un dépliant touristique de plus, plein de superlatifs extasiés. Je sais d'avance que certains lecteurs seront choqués et que j'aurai des mails de protestation. Comment, l'Inde n'est que cela pour vous ? Je réponds par anticipation : non, l'Inde n'est pas que cela pour moi, puisque j'y retourne toujours et avec autant d'attirance et de fascination. Mais l'Inde est aussi cela et ce n'est pas une raison pour la fuir. Bien au contraire, j'y vois des raisons supplémentaires pour en éprouver de la compassion, de la tendresse.

Le long chapitre présenté ici propose donc au lecteur une série de textes un peu disparates sur divers aspects de la vie sociale, culturelle et religieuse indienne. Reflets de notre expérience limitée, ces textes ne prétendent ni être complets, ni être impartiaux. S'ils peuvent aider certains à comprendre plus rapidement dans quel Univers ils sont arrivés, ils auront atteint leur but.

Les touristes qui voyagent en groupe, pris en charge par un guide dans le cadre d'un horaire minuté, descendant dans des hôtels cinq étoiles, ont peu de chance de connaître l'Inde réelle. Passant comme des météores, ils auront collecté de belles photos et recueilli des impressions fugaces et superficielles. Loin de moi l'intention de critiquer les voyages organisés. Ce n'est pas le voyage organisé en tant que tel que je vise, mais la courte durée qui ne permet pas que le visiteur, malgré tous les efforts de guides-accompagnateurs le plus souvent compétents et sympathiques, puisse réellement appréhender un pays aussi complexe que l'Inde. De surcroît, la plupart des touristes voyageant ainsi ne viennent qu'une seule fois en Inde, pour peu de temps, 10 à 15 jours, de préférence au Rajasthan. Ainsi, ils "feront" (quel affreux terme !) un pays nouveau chaque année.

En revanche, le touriste qui se rend seul en Inde a de bonnes raisons d'être désorienté : la foule énorme des grandes métropoles, la promiscuité, la saleté environnante, la pauvreté extrême, la circulation anarchique et polluante, exigent une bonne dose d'acceptation. On ne peut se sentir bien en Inde que si l'on veut s'y immerger. L’immensité du pays, les parcours interminables en train, en car, concourent à renforcer le sentiment que l'on est une minuscule fourmi dans cette gigantesque fourmilière d'un milliard d'habitants.

Passée la période d'acclimatation et même si l'on conserve quelques irritations quand les choses vont trop lentement ou pas comme on le voudrait, vient la découverte authentique. Certes, pour communiquer avec les gens, la pratique de l'anglais, même élémentaire, est indispensable. L'on constate alors que les Indiens sont souvent curieux des étrangers, qu'ils apprécient particulièrement que l'on s'intéresse à leur culture. Visiter les temples en essayant de s'y sentir à l'aise et en se comportant respectueusement permet, par exemple, des contacts réels et spontanés : partage du prasad, discussions sur les différentes croyances, explication des coutumes, etc.

L'auteur est spécialement familier de la culture et de la religion Hindoue. Le lecteur voudra donc bien excuser que les spécificités des autres groupes (Musulmans, Chrétiens, Bouddhistes, Jains, Sikhs, Parsi, Juifs) ne fassent pas l'objet d'analyses particulières.

De même, malgré son intérêt, a été délibérément écartée toute analyse politique en raison des polémiques qu'elle pourrait entraîner.

Dans la partie relative à l'Hindouisme, l'utilisation de termes sanscrits est inévitable pour présenter des concepts qui n'ont pas d'équivalent dans notre langue. Nous avons fait notre possible pour en donner des définitions simples.

 

Place de la vache

La vache en Inde est sacrée, tout le monde sait cela. Mais pourquoi vénérer un animal présumé aussi peu intelligent, qui rumine bêtement en vous regardant de ses yeux ternes ? La perspective de l'Hindou est totalement différente. Sur un plan simplement pratique, la vache, ou plus globalement le bovin, est d'une utilité extrême dans une économie encore très rurale. Même mal nourrie, elle fait preuve d'une rusticité étonnante. Elle fournit du lait à la famille.

Le réseau coopératif de collecte et de vente de lait s'est développé en Inde depuis des décennies, même dans des régions reculées. On peut voir sur les routes des vélos et des motos avec leurs bidons, collectant les surplus de production des petits paysans. Bien entendu, de grosses unités de production laitière existent également aux abords des grandes villes.

Les bovins fournissent aussi un travail appréciable dans les travaux des champs ou en tirant les charrettes qui acheminent les produits locaux vers les marchés.

Sa bouse, mélangée à de la paille séchée, confectionnée en galettes plates séchées au soleil, fournit un combustible lent adapté à la cuisson longue des aliments. Dans un pays très peuplé où les forêts ont régressé de façon considérable et où les ressources en bois sont donc insuffisantes, cet appoint énergétique est essentiel. Une partie de ces galettes est employée comme engrais naturel sur les cultures maraîchères.

Et, surprise, l'urine de la vache, utilisée depuis longtemps pour désinfecter les sols des maisons à la campagne, ainsi qu'en shampooing pour exterminer les parasites, s'est vu reconnaître officiellement des propriétés inattendues. En effet, des recherches ont établi qu'un distillat d'urine de vache renforce les effets d'antibiotiques et de fongicides permettant ainsi d'en diminuer les doses prescrites et allégeant du même coup leurs effets secondaires nocifs. Un brevet a été déposé aux Etats Unis. Cette avancée scientifique tend ainsi à valider l'emploi traditionnel de l'urine de vache ou d'autres animaux en thérapie ayurvédique.

En revanche, c'est peut-être aller un peu loin que de commercialiser, comme le fait une organisation Hindoue intégriste, de l'urine de vache en bouteille comme traitement de maux divers allant des maladies du foie à l'obésité et même au cancer...

Cependant, cette utilité de la vache ne suffit pas à expliquer pourquoi elle est sacrée. Elle joue en effet un rôle essentiel dans la mythologie : Au commencement des Temps, les Dieux et les Démons se réunirent et décidèrent d'un commun accord de baratter l'Océan de Lait Primordial afin d'en extraire le Nectar d'Immortalité (Amrita) qui assurerait leur primauté définitive. Comme baratte, ils choisirent le Mont Meru, demeure des Dieux, et le posèrent sur le dos de Kûrma, la Tortue (le deuxième avatar du dieu Vishnu). Ils demandèrent au grand serpent Vasuki d’être la corde de la baratte. Les Dieux se groupèrent d'un côté de la corde, les Démons de l'autre, et ils commencèrent le barattage. Des merveilles apparurent alors dans l'Océan de Lait, dont le fameux nectar d'immortalité. Les Dieux s'en emparèrent après une lutte féroce contre les démons, mais ceci est autre histoire...

Parmi les merveilles, sortit de l'Océan une vache miraculeuse dont le corps contenait tous les dieux : Kamadhenu, la vache céleste, dont les pis généreux fournissaient du lait en abondance à toute l'humanité.

Le visiteur sera surpris de voir, dans les villes de l'Inde, les vaches déambuler librement. Ce ne sont pas des vaches errantes. Chacune appartient à une famille. Le soir, elles rentrent au domicile ou, si ce n'est pas possible, elles restent groupées dans un angle de rue. Elles débarrassent les marchés des débris végétaux et contribuent ainsi au nettoyage des villes. Là où elles sont parquées, il n'est pas rare de voir une femme vendre des poignées d'herbe fraîche que des passants achètent pour les leur offrir. Cet acte est considéré comme méritoire et porteur de bon karma. Une vache dans la rue n'est jamais maltraitée, même si elle bloque la circulation. Ces animaux placides ne s'énervent pas, même au milieu des klaxons et de la circulation la plus démentielle. Parmi les diverses races qui coexistent, les vaches à bosse sont les plus belles : doux pelage et regard en amande... Dans certaines régions du sud, leurs cornes sont peintes de vives couleurs : rouge, jaune, bleu,...

Dans une ruelle étroite, elles vont leur chemin et c'est à vous de vous garer.

La plupart des hindous sont végétariens. Certains mangent du poulet et des oeufs, mais jamais de viande de boeuf. Il parait que dans un lointain passé, il n'en était pas ainsi. Seuls les Brahmanes, pour des raisons de pureté rituelle, ne consommaient pas de viande. Cette pratique s'est progressivement étendue aux différentes castes. Evidemment, les Musulmans, qui constituent 12% de la population, mangent de la viande (excepté le porc). On sait aussi que des bovins sur pied sont exportés discrètement vers le Pakistan carnivore voisin. Ces activités sont très mal vues dans les milieux des Brahmanes orthodoxes. Périodiquement, des pétitions intégristes demandent au Gouvernement d'interdire l'abattage des bovins sur le territoire (pratiqué par des Musulmans et des Chrétiens), sans succès jusqu'à présent. On rappellera qu'en 1857, les soldats qui servaient la britannique et très coloniale Compagnie des Indes (Cipayes) furent à l'origine d'un énorme soulèvement national contre l'occupant. Pour amorcer les cartouches dont ils se servaient, ils devaient en effet arracher avec les dents un carton enduit de graisse de boeuf et de porc. Hindous et Musulmans refusèrent d'obéir. En 1943, au Bengale, une famine tua des millions de personnes qui préférèrent mourir que de manger du boeuf. Pour la petite histoire, cette famine eut pour origine le refus du Gouverneur britannique de distribuer une partie des stocks de grains dont les silos étaient pleins, au motif qu'on pouvait craindre une pénurie.

Dans la société Hindoue, les professions liées au commerce de la viande, à l'équarrissage des peaux, au travail du cuir, sont réservés à des Intouchables.

Le respect de la vache qui nous frappe tant n'est, en fait, que l'une des manifestations de l'attitude de l'Hindou envers tous les êtres vivants : humains, animaux, végétaux (surtout les arbres) et même minéraux. En effet, la présence divine est immanente en toutes choses. Tout ce qui nous entoure porte témoignage de l'Omnipotence de dieu. Cette croyance bien ancrée modèle le sens moral et le comportement individuel. C'est peut-être pourquoi on peut observer qu'en Inde les animaux s'approchent plus près des êtres humains, car ils ne les craignent pas et c'est encore ici qu'existent des hospices pour vaches âgées.

Des économistes formés à la pensée rationnelle sont effarés par la très faible productivité du cheptel bovin indien. A quoi sert, disent-ils, de conserver tous ces animaux efflanqués ? Pour un Hindou, cette remarque est aussi incongrue que celle qui conseillerait d'abattre tous les miséreux et paysans squelettiques qui accablent l'Inde. L'interdépendance de tout ce qui est vivant constitue l'un des fondements de l'Hindouisme. La rationalité économique ne peut que s'y casser les dents.

Essayer de comprendre les castes

Le terme caste vient du portugais casta, ou catégorie pure, non mélangée (allusion à l'étanchéité des castes entre elles), qui fut introduit en Inde au 16ème siècle. Il est ambigu et, bien que largement employé, il ne reflète pas l'arrière-plan qui explique l'origine et le développement de cette organisation de la société.

On lui préfère le terme varna, qui signifie couleur et englobe les quatre grands groupes sociaux originels suivants :

 Les Brahmanes, dont sont issus les prêtres
 Les Kshatriya qui fournissent les gouvernants et les guerriers
 Les Vaishya ou agents économiques (commerçants)
 Les Sudra ou artisans, au service des trois premières varna.

Dans la conception traditionnelle, telle que décrite dans les Dharma Shastra, l'appartenance d'un homme à une varna donnée dépend de sa naissance : un fils de Brahmane naît Brahmane. Cette appartenance est intangible pour la durée de cette vie. S'il est né dans une basse caste, Sudra, par exemple, il ne pourra améliorer son statut qu'au cours d'une incarnation ultérieure par l'effet des bons karma accumulés au cours de la présente vie. Pour l'Hindouisme, cette division de la société est naturelle et correspond aux tempéraments et prédispositions de l'être humain. Telle personne avec une grande force de caractère et de la bravoure est Kshatriya par nature.

A l'époque moderne, le Mahatma Gandhi restait fermement partisan de cette subdivision de la société en quatre catégories. Cependant, quelques rares textes anciens laissent entendre que le passage d'une varna donnée à une autre est possible au cours d'une même vie. Un enseignant (Brahmane) peut ainsi devenir commerçant (Vaishya). Mais l'on ignore si cette facilité était exceptionnelle ou la règle à certaines époques. La courte durée de la vie, la sédentarité dans les villages, l'absence d'éducation de la grande majorité des gens, expliquent aisément et justifient cette conception des varna ainsi que la spécialisation professionnelle héréditaire dans le cadre des jâti. Les siècles d'occupation par des pouvoirs étrangers ne peuvent qu'avoir renforcé le conservatisme de la société hindoue.

Les mythes rapportent que la race humaine est issue d'un Etre divin géant, à forme humaine, Purusha. De sa bouche, sont venus les Brahmanes, de ses bras les Kshatriya, de ses cuisses les Vaishya et de ses pieds les Sudra. Dans cette conception, il est bien évident que nul n'est supérieur à l'autre. L'humble artisan n'est pas inférieur au puissant guerrier ni au prêtre intercesseur des divinités. Il leur est complémentaire et indispensable. De tous temps, ont existé des intellectuels et des Sages d'une part, des gens de pouvoir et d'action d'autre part, des hommes d'argent et de commerce aussi et enfin des ouvriers et des serviteurs. L'asservissement de certains par d'autres est une faiblesse humaine, non une loi naturelle.

Au fil des siècles, cette organisation s'est complexifiée. A la notion de varna s'est surimposée celle de jâti ou groupement socioprofessionnel spécifique. Dans la société traditionnelle, le fils reprenait souvent le métier du père. Mais la société indienne est ainsi faite que chaque jâti a voulu se différencier des autres par un ensemble de règles comportementales et sociales particulières : c'est le dharma de la jâti. Parmi ces règles, celles qui portent sur la pureté rituelle des habitudes quotidiennes, alimentaires entre autres, sont très contraignantes. Le mariage endogamique est également la règle, mais il évite les risques de consanguinité en recherchant les opportunités de partenaire dans d'autres villages. Les règles qui gouvernent les jâti évoluent progressivement, mais toujours dans le sens d'exigences accrues, d'exclusions variées qui ont pour but de rehausser le statut de la jâti en question. Il faut en effet savoir que plus une catégorie est haut placée dans la hiérarchie sociale, plus elle se doit de suivre des règles de vie exigeantes. Ainsi, les Brahmanes très orthodoxes seront-ils soumis à des règles de pureté rituelle très complexes. A l'autre bout de l'échelle sociale, aucune exigence ne pèse sur les gens. Les jâti sont très nombreuses, plus de 4300. D'une province à l'autre, la place d'une jâti donnée dans la hiérarchie sociale peut varier très sensiblement.

L'apparition de l'intouchabilité au cours histoire de l'Inde s'explique probablement par les deux facteurs suivants :

 D'une part, certains métiers (vidangeurs, équarisseurs, etc.) sont par nature très sales. Les gens excluaient ceux qui manipulaient des substances pouvant propager des maladies.
 D'autre part, certains délits graves étaient punis d'une proscription sociale totale et définitive : meurtre d'un Brahmane ou d'une vache, mariage de grave mésalliance.

Reste à savoir si les métiers "sales" n'étaient pas justement les seuls qui restaient accessibles à des gens exclus du corps social... Ce phénomène de l'intouchabilité s'est développé au cours des siècles au point d'atteindre un pourcentage significatif de la société (160 millions de personnes actuellement) car l'intouchabilité, comme d'ailleurs l'appartenance à n'importe quelle caste, est une donnée héréditaire. Il nous paraît stupéfiant que la grave erreur d'un père soit transmise à toute sa descendance, mais il en est ainsi dans la société hindoue où la notion de karma collectif prime sur toute autre analyse. C'est la croyance en la pluralité des vies qui, seule, permet de changer de statut.

Les Intouchables étant des hors castes, il apparaît logique que les non-Hindous soient également considérés comme des Intouchables. Ainsi en est-il des populations tribales (Adivasi) des régions reculées du pays. Ainsi en est-il également des minorités religieuses.

Les discriminations liées à l'intouchabilité ou à l'appartenance à quelque caste que ce soit ont été abolies par la constitution (article 17) de l'Inde indépendante dès 1950. Mais force est de constater que l'ostracisme social dont les Intouchables sont frappés n'a que partiellement évolué. Dans les villages, les Intouchables sont relégués à la périphérie et doivent avoir leur propre puits, car l'accès au puits communautaire ne leur est pas permis. L'entrée dans les temples ne leur a été concédée qu'avec réticence. Autrefois, que l'ombre d'un Intouchable touche celle d'un Brahmane était considéré comme une offense. Les Intouchables, qui se désignent eux-mêmes sous le nom de Dalits (opprimés) sont encore l'objet de persécutions et de mauvais traitements. L'action du gouvernement tente de corriger les inégalités sociales qui les frappent. Moins scolarisés que la moyenne, du fait de la pauvreté des familles et des réticences des villageois à voir leurs enfants admis à l'école, ils bénéficient en compensation d'une politique de discrimination positive qui leur réserve des quotas d'emplois dans la fonction publique, en proportion de leur importance numérique. Ces dispositions pourtant déjà anciennes ne sont pas pleinement efficaces. Les quotas ne sont pas atteints et les emplois pourvus sont le plus souvent subalternes. D'autre part, cette politique de discrimination positive est fortement critiquée par les castes supérieures, surtout les Brahmanes qui, traditionnellement lettrés et bien éduqués, estiment qu'ils sont défavorisés et qu'une telle politique ne peut qu'affaiblir le niveau général de l'éducation.

Un débat actuel pose la question d'appliquer cette politique d'emplois réservés aux Intouchables dans le secteur privé. De nombreuses voix s'élèvent pour s'opposer à une décision qui n'est pas de la responsabilité des Pouvoirs Publics et amoindrirait l'efficacité du secteur privé, surtout en matière de compétitivité internationale. D'autres voix plaident pour l'équité sociale. Intouchable ne signifie pas forcément pauvre et exclu. De nombreux hommes d'affaires, des médecins et avocats réputés, des politiciens influents, ont émergé de la masse des Intouchables et militent souvent en faveur de leurs droits.

Le Mahatma Gandhi les appelait Harijan ou enfants de Dieu, marquant ainsi qu'il ne voyait pas de différence entre le plus puissant et le plus démuni. Mais cette vision d'un saint homme ne changea en rien la situation de ces malheureux et l'appellation fut même considérée comme paternaliste et malencontreuse car Harijan signifie également bâtard.

La situation commença à bouger de manière significative lorsque le Docteur Ambedkar, lui-même Intouchable et membre du Parlement, se convertit en 1956, peu avant sa mort, au Bouddhisme, religion qui ne reconnaît pas les castes, entraînant avec lui des centaines de milliers de personnes, rien qu'au Maharashtra.

La conversion à une autre religion est apparue à beaucoup d'Intouchables comme une solution pour sortir de leur état. Le Christianisme en a largement profité, par exemple dans les Etats du Nord-est (Nagaland, Tripura, etc.), christianisés à 90%, car peuplés de tribaux hors castes. Les missionnaires, souvent américains et se réclamant de sectes chrétiennes diverses, continuent à exercer une forte influence prosélyte dans les régions tribales arriérées. Leur action humanitaire indéniable ne peut cependant occulter l'objectif premier et persévérant de conversion obtenue par la persuasion et la distribution de nourriture.

Le cas des conversions à l'Islam est assez similaire. Si certains empereurs fanatiques comme Aurangzeb (17-18ème siècle) ont converti des populations entières par l'épée, les conversions pacifiques n'en ont pas moins existé tout au long des longues périodes de pouvoir Musulman en Inde. Elles concernaient déjà des Intouchables ainsi que certains courtisans du Palais qui acquéraient ainsi considération et pouvoir. A certaines époques, l'impôt prélevé sur les non-Musulmans (jizia) a également joué un rôle d'incitation. De nos jours, les conversions d'Hindous à l'Islam sont rares et se produisent, par exemple, lorsqu'une femme hindoue épouse un musulman. Les Musulmans (12% de la population) font ainsi de l'Inde le troisième pays musulman du monde (ex-aequo avec le Bengladesh), après l'Indonésie et le Pakistan

L'Hindouisme, lui-même non prosélyte, voit d'un oeil très défavorable les activités de conversion des missionnaires. Il est cohérent avec sa propre vision du monde : chacun naît dans un certain milieu, avec une religion donnée et doit assumer ses origines et sa culture. Les Hindous ne sont pas davantage favorables à ce que des étrangers, Occidentaux par exemple, se convertissent à l'Hindouisme, sans du moins s'y impliquer très sérieusement.

Malgré leur situation souvent misérable, la plupart des Intouchables ne se révoltent pas contre le système des castes puisque celui-ci résulte de l'ordre naturel des choses. On observe même que les Intouchables créent entre eux des catégories qui se comportent entre elles comme des castes. Il existe donc des Intouchables plus Intouchables que d'autres. Ceci est une preuve, s'il en est, de l'extrême solidité du système.

Cette rigidification et stratification de la société ne correspondent plus du tout aux conceptions philosophiques initiales car elles génèrent des antagonismes et non des complémentarités. Lorsque des castes agraires, comme les Jats et les Gujars, qui devraient être très proches l'une de l'autre, en viennent à se jalouser et se combattre, on peut penser que les impératifs de survie économique sont désormais étroitement liés aux intérêts propres à chaque caste. En ce sens, la caste a encore de beaux jours devant elle. D'autant que 65% des gens vivent encore dans les campagnes ou de petites agglomérations. Cependant, la croissance rapide des grandes villes a déjà commencé à nuancer le tableau. La caste y est de moins en moins liée à la jâti. Les changements de profession de père à fils s'accélèrent. L'émergence d'une société aisée, voire riche, la vie en famille nucléaire, l'éducation supérieure, éloignent progressivement les gens des conceptions étroites de la caste et de ses contraintes. On ne saurait dire si le jeune Brahmane a des amis Intouchables mais ce n'est désormais plus impossible.

Le monde moderne altère sensiblement sinon la théorie de cette organisation sociale, du moins sa pratique. On ne change toujours pas de varna mais la caste de naissance influe de moins en moins sur le cours de la vie, du moins dans les villes. L'éducation moderne, l'allongement considérable de la durée de la vie, la grande mobilité, sont autant de facteurs qui facilitent les changements personnels et professionnels, quand ils n'y obligent pas.

On peut se demander si de nouvelles jâti ne vont pas se créer avec d'autres modes de fonctionnement. Mais leurs membres seront issus de castes différentes, par exemple un informaticien peut être Brahmane ou Sudra. C'est sans importance dans l'exercice du métier (jâti) mais l'on ignore jusqu'à quel point la sphère personnelle et comportementale (dharma) en est modifiée. Autrement dit, les varna sont-elles appelées à se dissoudre ou s'uniformiser ? On ne peut préjuger de l'avenir car l'on assiste en même temps à des phénomènes contradictoires. Par exemple, dans de nombreuses annonces matrimoniales, il est fréquent de lire : "caste indifférente". Dans le même temps, la revendication religieuse peut aller jusqu'à l'expression d'un extrémisme violent (conflit d'Ayodhya). Dans un autre registre, l'on constate la persistance du mariage arrangé et des exigences des familles face aux aspirations des jeunes gens.

La femme en Inde

La société indienne est patriarcale. Les hommes et, en particulier le père ou l'aîné de la famille, détiennent l'autorité morale et économique. Il serait cependant caricatural de ne voir en la femme indienne qu'une servante soumise.

Dès son plus jeune âge, la petite fille est formée par sa mère et toutes les femmes de la maisonnée, à son futur rôle de mère et d'épouse. Elle participe aux tâches ménagères (dans les campagnes collecte du bois, de l'eau, etc...). Elle s'occupe des enfants cadets. Le souci obsessionnel des parents sera de la marier sans tarder, bien que le mariage des jeunes enfants soit interdit de longue date. Lorsqu'il était pratiqué, la jeune mariée retournait d'ailleurs sous le toit de ses parents jusque ce qu'elle soit nubile. Actuellement, le mariage est autorisé à partir de 18 ans pour les filles et de 21 ans pour les garçons.

Dans l'immense majorité des cas, les mariages sont arrangés par les parents. Ils entreprennent, seuls ou avec l'aide de personnes appointées (guru de la famille, entremetteuse, agence matrimoniale, petites annonces) la recherche du conjoint adéquat. Celui-ci doit être de caste identique ou similaire et présenter des garanties d'avenir.

La scolarisation des filles est en retard par rapport à celle des garçons. Pour l'ensemble de l'Inde, les femmes sont scolarisées à 39,4% et les hommes 64,1% (Recensement 2001). Ce chiffre déjà défavorable recouvre de fortes disparités : si elles sont scolarisées à 86,2% au Kerala (93,6% pour les hommes), elles ne le sont qu’à 20,4% au Rajasthan (55,0% pour les hommes). L'idée qu'une femme puisse avoir un travail indépendant bien rémunéré progresse mais elle est relativement récente et urbaine (64% des femmes sont scolarisées dans les villes à l'échelle du pays). Les filles scolarisées dans les campagnes arrêtent l'école très tôt pour retourner aux travaux ménagers et des champs.

La dot des filles est, en principe, interdite par la loi. Elle est cependant toujours d'actualité et pèse lourdement sur les finances des parents. Quand ce sont de petits agriculteurs, il est fréquent qu'ils s'endettent pour des années auprès de l'usurier local. Qu'advienne une succession de mauvaises récoltes et l'impossibilité de rembourser intérêts et capital entraînera trop souvent la perte du seul bien de la famille, à savoir le lopin de terre qui la fait vivre.

En effet, les exigences des familles de garçons sont d'autant plus exorbitantes que la future épouse est peu éduquée ou a la peau sombre. Les biens de consommation : scooter, télévision, machine à laver, etc... constituent autant de requêtes hors de portée des gens modestes. Les dots non payées intégralement peuvent générer des drames dans des familles avides : la jeune femme sera maltraitée, battue et parfois même arrosée d'essence dans la cuisine pour y être brûlée vive !! Les journaux rapportent périodiquement ce genre de drame.

Une fois mariée, la jeune femme réside avec son mari sous le toit de ses beaux-parents. La famille traditionnelle, dite élargie, peut ainsi comporter trois ou quatre générations sous le même toit, soit plusieurs dizaines de personnes. Les femmes y sont soumises à l'autorité de la belle-mère qui, seule, détient les clés des provisions et règle dans les moindres détails la bonne marche de la maisonnée. Les prescriptions relatives à la préparation des repas et aux rites de purification sont aussi sous son autorité.

Soumise à sa belle-mère, la jeune femme l'est également à son mari auquel elle doit respect et obéissance. Les films indiens sont le reflet de cette vertu féminine qui va jusqu'au pardon inconditionnel de l'époux infidèle. Si un homme trompe sa femme, la première réaction de celle-ci sera de se demander :"Qu'ai-je fait de mal pour qu'un pareil malheur arrive ?".

Dès qu'elle a un enfant mâle, la jeune femme voit son statut changer de façon de façon sensible. Elle a contribué à la continuité de la lignée. Respectée, elle restera toujours quand même sous l'autorité et la protection des hommes de la famille. En revanche, elle est souveraine dans son domaine : éducation des enfants jusqu'à l'upanayana vers 11-12 ans, la cuisine, les rituels religieux familiaux quotidiens qu'elle accomplit seule ou avec son mari. Plus elle avance en âge, plus son emprise sur la maisonnée est grande.

La dépendance morale et économique envers les hommes rend le veuvage particulièrement difficile. En théorie, une veuve n'a plus de rôle social. Vêtue de blanc, elle ne doit plus porter de bijoux. Si elle n'est pas prise en charge par l'un de ses fils, sa situation est précaire. C'est pourquoi de nombreuses associations ont pour rôle principal d'aider les veuves dans le besoin. Autrefois, dans les classes supérieures, il était même recommandé que la veuve ne survive pas à son mari et s'immole sur son bûcher funéraire. Cette coutume, appelée Sati, a pris naissance chez les Kshatriya au cours des luttes contre les invasions musulmanes, c'est à dire après le 12ème siècle. Les Sati étaient considérées par les gens comme des saintes. Des stèles de pierre ou des empreintes de mains sur les murs portent témoignage de cette ferveur populaire. La coutume se développa et s'étendit à d'autres castes. Elle fut interdite dès 1829 sous l'occupation coloniale, par les Britanniques, sous la pression d'intellectuels hindous modernistes. Mais elle se poursuivit clandestinement, certaines Sati n'étant pas volontaires. Il semble que de nos jours, cette coutume soit enfin (presque) abolie.

Une autre coutume est celle du purdah, ou claustration des femmes (purdah désigne aussi le voile qu'elles portent en public). Le purdah a pris naissance également à l'ouest du pays, au Rajasthan, et pour les mêmes raisons que le Sati, afin de protéger les femmes des envahisseurs musulmans et plus généralement de la concupiscence masculine. Le purdah s'est d'autant plus aisément installé que les musulmans procédaient de même. Ainsi le zenana, quartier réservé aux femmes dans la maison ou le palais, gardé par des eunuques, correspond exactement à la notion de harem. Le purdah s'est donc développé et étendu aux commerçants bourgeois. Les paysannes que l'on voit aujourd'hui porter un voile dans les campagnes ne se cloîtrent pas mais protègent leur visage contre le regard inquisiteur et contre le vent brûlant et asséchant. Le purdah reste cependant limité au nord de l'Inde.

La femme moderne qui a reçu une éducation supérieure et vit dans les villes a, bien entendu, tendance à rejeter ces contraintes de la société patriarcale. La dimension réduite des appartements (l'immobilier coûte cher) disloque les structures de la famille élargie. Les liens familiaux restent néanmoins très puissants mais leurs effets se font moins sentir dans la vie de tous les jours. Le jeune couple garde des obligations morales et financières vis à vis des parents et des frères et soeurs mais mène sa vie quotidienne comme il l'entend. La femme moderne travaille, a le droit d'ouvrir un compte en banque séparé. La loi lui reconnaît droit à une part d'héritage. Cette dernière disposition est cependant rarement appliquée et les recours en justice sont difficiles et aléatoires. Selon la tradition, c'est le fils aîné qui hérite, évitant ainsi la dispersion des biens, surtout de la terre.

En ville, se produisent plus facilement et plus fréquemment des mariages inter castes, voire avec des étrangers. Mais si les parents ont des conceptions traditionnelles rigides, de tels mariages sont considérés comme des mésalliances pouvant entraîner la rupture des relations. Le mariage arrangé reste toutefois la norme, même en milieu urbain. Les futurs époux peuvent se rencontrer, et la jeune femme a la possibilité de récuser un garçon qui ne lui plaît pas. Le mariage d'amour à l'occidentale est donc exceptionnel. Le succès médiatique de la Saint Valentin (à cette occasion fleurissent d'innombrables cartes de voeux) traduit certainement les aspirations de nombreux jeunes, mais n'a aucun impact sur les pratiques sociales réelles.

Les femmes jouent un rôle considérable dans la vie politique et leur présence numérique dans les partis et les instances gouvernementales (9% de femmes au Parlement fédéral) ce qui n'est pas si mal par rapport à la France (11% en 2002), qui est cependant à l'avant-dernière position dans l'Union Européenne). Le divorce, autorisé par la loi depuis 1955, reste rare, les femmes n'ayant que rarement l'indépendance économique et restant soumises aux pressions familiales. Qu'une femme divorce est un déshonneur pour sa famille qui devient la risée du village. Réfugiée par défaut sous le toit de ses parents, s'ils l'acceptent (car ils lui devront alors nourriture et protection), elle n'a aucune perspective de remariage. La loi reconnaît à la divorcée une pension de 20% des revenus du mari, mais cette disposition est inappliquée dans la plupart des cas. Une décision récente de la Haute Cour de Justice de porter ce pourcentage à 50 le serait encore plus, mais montre que les autorités sont conscientes des problèmes économiques que rencontrent ces femmes.

Propreté et pureté

Beaucoup de gens qui voudraient se rendre en Inde et visiter cet immense pays hésitent pour deux raisons principales :

 L'immense et choquante misère de millions de personnes
 La saleté.

Il est vrai que pratiquement toutes les villes donnent une impression de catastrophe environnementale. Les bâtiments sont construits n'importe comment (pas les grands immeubles modernes, quand même !!), les rues, souvent défoncées, sont poussiéreuses en été, boueuses dès qu'il pleut; les immondices s'accumulent partout, etc... On a l'impression que les Indiens sont totalement indifférents à leur cadre de vie. Bien entendu, les quartiers des classes aisées laissent une meilleure impression, encore que des signes de dégradation y soient souvent perceptibles. On ne peut pas dire que les Services municipaux soient inexistants. Même dans des quartiers populaires, comme le bazar de Paharganj à Delhi, bien connu des touristes, où la densité de population est extrême, les déchets de toutes sortes sont ramassés chaque matin dans la rue, mais ils se renouvellent aussi vite dans la journée. Là se trouve, me semble-t-il, l'explication de cet environnement effroyablement répugnant.

La plupart des Indiens jettent n'importe quoi n'importe où en sorte que les déchets, dégradables ou non (surtout les sacs de plastique) se retrouvent dans la rue, entre les immeubles, sur les sites touristiques les plus beaux et même sur les berges et dans l'eau du fleuve le plus sacré de l'Inde, le Gange.

Il est vrai que là où des poubelles ont été installées, elles sont utilisées par certaines personnes mais l'effort est minime par rapport à ce qu'il faudrait faire. La conscience des citoyens et usagers quant à leur propre responsabilité paraît encore bien faible. Les slogans des pancartes, genre "Clean Delhi", appelant les gens à plus de soin, n'ont pas l'air d'avoir de portée. On aurait tendance à penser que, pour ce qui concerne la sphère publique, les gens se disent :"Ce n'est pas moi, c'est l'Etat le responsable". En effet, dans la sphère privée, les Indiens sont attachés à la propreté. Leurs vêtements, même usés, sont régulièrement lavés. Quant à la propreté corporelle, elle est compulsionnelle, presque rituelle. Il n'y a guère que des Intouchables faisant profession de mendicité pour être d'une saleté repoussante. La propreté du corps fait d'ailleurs partie, depuis les temps anciens, des prescriptions élémentaires du Yoga. Propreté du corps et propreté de l'esprit vont de pair suivant ces enseignements :"Mens sana in corpore sano" (un esprit sain dans un corps sain, en latin) , disaient nos ancêtres. C'est un précepte universel. Il est vécu en Inde avec acuité car, derrière la propreté corporelle (qui protège d'ailleurs, dans une large mesure, des épidémies et diverses maladies que l'environnement pollué véhicule) rituellement accomplie, se profile la notion de pureté spirituelle.

Un comportement impur est un comportement qui n'est pas en accord avec les prescriptions de vie de la catégorie sociale à laquelle on appartient, autrement dit de la caste. Ce qui est suffisamment pur pour l'un ne le sera pas pour un autre. On relira avec profit le texte sur les castes pour tenter de saisir le système de valeurs qui régit l'univers mental des Indiens.

La dissociation entre la notion de pureté et la notion de propreté peut conduire à d'étranges observations. Chacun sait que le Gange à Bénarès est un cloaque dont l'eau contient des germes bactériens dangereux en nombre hallucinant. L'habitude de déféquer sur les berges du fleuve, d'y immerger les cadavres d'indigents ou de malades, ou encore de cadavres mal incinérés, sans parler des effluents industriels et des déversements d'égouts, contribuent à cette situation choquante. Un vaste projet de réhabilitation des eaux du fleuve est à l'étude depuis de nombreuses années mais rien ne se fait de concret, encore moins de durable, et l'on est en droit de penser que les fonds servent davantage à alimenter la bureaucratie et la corruption qu'à construire des usines d'épuration ou simplement des toilettes en nombre suffisant. Et pourtant, s'il est un symbole de pureté, c'est bien le Gange. Tout Hindou pieux vous dira, contre tout bon sens, que l'eau du Gange est pure car, pour lui, pure ne veut pas dire propre. L'eau du Gange est pure, elle nettoie l'âme de toutes ses fautes. S'immerger rituellement dans le fleuve, et d'innombrables personnes le font, est un acte quotidien pour celui qui a la chance d'habiter non loin de ses rives. Quant aux pèlerins, qui viennent de loin, ils rapportent tous au village un bidon ou deux de cette eau sacrée qui sera utilisée pour les puja (rituels) ultérieures. Ce serait donc un contre-sens total que d'ironiser sur la naïveté des Hindous qui n'hésitent pas à boire une eau polluée tout en la considérant comme parfaitement pure.

Les cérémonies d'offrandes permanentes à Ganga, la Déesse fluviale vénérée comme Mère, les cérémonies de l'ârti (offrande du feu) accomplies par des prêtres spécialisés, maintiennent la communication entre les humains et les Entités Divines. Ganga, Mère Divine, qui, en fertilisant la terre, apporte la vie, ne saurait donc être affectée d'impureté. La propreté de l'eau est un autre sujet... puisque Ganga la sublime et la purifie.

Comportement de l'homme en société

Si les mots respect et obéissance gouvernent la vie de la femme, celui de devoir modèle celle des hommes. Dans l'hindouisme, chaque personne est responsable de ses actes, vis à vis d'elle-même et vis à vis de sa communauté propre. Le mot qui désigne cette obligation morale de comportement est dharma. Dharma veut dire Nature. Tout ce qui existe suit son dharma. S'appliquant à l'homme, le dharma est l'ensemble des règles naturelles qui lui permettent de vivre en harmonie avec lui-même et les autres. Cette définition, neutre au départ, va forcément générer un code de conduite morale. Selon sa place dans la société et la période de sa vie, le dharma de chacun présente des caractéristiques propres. Le dharma d'un soldat n'est pas celui d'un marchand. C'est pourquoi le pacifisme en soi n'est pas, pour les Hindous, une vertu, car s'il s'inspire souvent de sentiments honorables, il peut aussi cacher la couardise, la peur. Ainsi, dans la Bhagavad Gîta, Arjuna, guerrier courageux, hésite-t-il à la dernière minute à s'engager dans une bataille mortelle où périront nombre de ses parents et amis. Mais Krishna l'exhorte à l'action car la lutte est juste et nécessaire. Le dharma d'Arjuna est de combattre. De la même manière, le dharma d'un commerçant est de gagner de l'argent de façon honnête, celui d'un prêtre est d'honorer les Dieux, celui d'un père de famille est de faire vivre sa famille. Ainsi le dharma de chacun est-il fonction de sa place dans la société et il évolue au cours de la vie.

L'homme hindou a des devoirs de respect envers ses parents. Pour un Hindou, le premier guru (prononcer gourou) est le père. C'est celui qui va le former à sa future vie d'homme et lui apprendre les rites familiaux accomplis quotidiennement pour honorer les divinités. L'Hindou conserve toute sa vie un fort sentiment d'appartenance à sa lignée familiale. Il fut un temps, pas très lointain, où l'homme exerçait le même métier que son père. Le groupe professionnel auquel il se rattachait de naissance s'appelle la jâti. Les membres d'une même jâti se doivent assistance. Le dharma social propre à chaque jâti se traduit par un certain nombre de règles comportementales ainsi que d'interdictions. Dans telle jâti, on pourra manger du poulet, dans telle autre, on sera végétarien. Dans son foyer, on ne prend ses repas qu'avec des gens de la même jâti, éventuellement d'une jâti compatible. Ces règles évoluent au fil du temps car des comportements plus "moraux" ou rituellement plus "purs" élèvent la jâti dans la hiérarchie sociale. De nos jours, l'éducation des jeunes gens en milieu urbain leur donne l'occasion d'exercer des métiers différents de ceux des pères, voire des métiers nouveaux.

Cette tendance à la spécialisation professionnelle familiale n'est pas limitée aux Hindous. On remarquera, par exemple, que beaucoup de bijoutiers sont des Musulmans et que de nombreux pêcheurs des régions côtières sont des Chrétiens.

Le poids des contraintes qui pèsent sur l'homme Hindou semble avoir des conséquences pas toujours heureuses sur son comportement dans la société. Soumis à son père, soumis à son patron (qui le traite souvent fort mal), il va avoir tendance à compenser, en étant à son tour arrogant avec ceux qui lui sont inférieurs dans la sphère professionnelle et méprisant ou indifférent envers ceux d'un bas niveau social.

L'Hindouisme professe la compassion car tous les êtres humains, animaux, et tout ce qui existe, sont l'expression de la puissance divine. Pour le Mahatma Gandhi, il n'y avait aucune distance sociale réelle entre un éboueur (Intouchable de la plus basse espèce) et un prêtre Brahmane. Mais cette vision est celle des Saints, pas celle des hommes ordinaires, empêtrés dans les préjugés de caste et l'égoïsme.

Il parait que les "merci" et "excusez-moi" n’existent pas en Hindi. De fait, leur équivalent anglais n'est utilisé qu'exceptionnellement et par des gens qui connaissent bien les usages des Occidentaux. Vous achetez un objet dans un magasin, vous le payez le prix convenu avec le commerçant, pourquoi voudriez-vous qu'il vous dise merci ? Vous avez votre objet, il a son argent, chacun est satisfait et ne doit rien de plus à l'autre. L'échange est équilibré. Le merci est superflu, mais on vous aura certainement offert un thé ou toute autre boisson, ce qui est une autre forme de politesse. Le terme "excusez-moi" n'est employé que par les commerçants qui veulent attirer votre attention dans la rue et vous faire entrer dans leur magasin. En revanche, quelqu'un qui vous bouscule dans la rue ne s'excusera pratiquement jamais. Il va son chemin, vous suivez le vôtre.

Dans la rue ou sur la route, les règles théoriques de bonne conduite cèdent la place à l'empirisme total : c'est le plus gros qui passe le premier. Le camion prend le pas sur la voiture, la voiture sur les deux-roues, lesquels frôlent les piétons sans vergogne. Bref, c'est du chacun pour soi dans une société stratifiée où le plus fort commande.

La notion de comportement citoyen est encore faible. Ceci explique peut-être que les Hindous, si soucieux dans leur sphère personnelle et familiale de "pureté rituelle", soient si négligents quant à l'hygiène des lieux publics. Chacun lance ses papiers gras n'importe où, crache glaires ou longs jets de salive rougis de bétel, et se mouche dans ses doigts. L'accélération exponentielle de l'utilisation des matières plastiques, particulièrement les sacs plastiques, aggrave la situation, jusque dans les villages. Il n'y a pas si longtemps, les vaches se faisaient un devoir d'avaler journaux cartons et papiers d'emballage. Maintenant le moindre coup de vent fait apparaître des milliers de cerfs-volants fous et disgracieux. La faiblesse et le manque de moyens des services municipaux de nettoyage expliquent aisément la saleté repoussante des rues dans les quartiers populaires des villes.

En revanche, les intérieurs sont très propres, à tel point que l'usage est de se déchausser en entrant. Les Indiens sont soignés de leur personne et en voyageant, il est fréquent de voir des gens, le long des routes, au bord des bassins ou des rivières, s'enduire de savon et se frotter énergiquement. Ce qui ne les empêche pas d'avoir des vêtements rapiécés ou tâchées... mais propres. Cette impression positive est curieusement contrecarrée par des avis contraires. Nombre de femmes (dans les milieux favorisés de la classe moyenne, évidemment, lectrices de cette revue) se plaignent, parait-il, de la négligence de leur mari en matière d'hygiène...

Parmi les obligations d'un "bon" Hindou, figure celle de donner l'aumône aux mendiants et de nourrir les saddhus. Les uns comme les autres sont souvent massés près des temples et autres lieux sacrés. Ainsi, chacun peut leur donner une piécette. Cet acte est considéré comme méritoire et porteur de bon karma. La compassion envers les démunis est absente de ce geste.

La société indienne manque-t-elle de charité ? Il est difficile de répondre à cette question. D'un côté, d'innombrables associations, animées par des bénévoles, portent assistance aux gens dans le besoin : orphelins, lépreux, handicapés, veuves, paysans sans terre, etc. Ce sont évidemment des sentiments de charité et compassion qui les guident. Mais, par ailleurs, les classes moyennes ou supérieures qui emploient comme domestiques des petits cousins de la campagne ou des enfants enlevés à leurs parents par des organisations mafieuses dans des coins reculés du pays, les exploitent honteusement plutôt qu'ils ne les protègent. Les journaux mentionnent fréquemment des cas de viols et de mauvais traitements. Sans aller jusqu'à ces extrémités, les infortunés qui tombent sous la coupe de ces méchants maîtres ne reçoivent aucun salaire ou un salaire de misère, mangent mal et dorment par terre. De toutes façons, les petits employés sont toujours mal payés et exploités par leurs patrons. Quant aux enfants non scolarisés, encore en trop grand nombre, ils sont une proie de choix pour fournir une main d'oeuvre quasiment gratuite.

Dans la vie en société, l'homme indien semble plutôt placide. Il ne s'énerve pas au volant, ni dans les encombrements, encore qu'il use de son klaxon à tout propos...

Cette tranquillité apparente cache un volcan. Les rassemblements de foule provoquent souvent des incidents, des bousculades parfois mortelles, quand ce ne sont pas des affrontements intercommunautaires qu'un rien peut déclencher. Les policiers, armés de longs bâtons (lathi), connaissent bien ce genre de risques et réagissent rapidement avec brutalité.

Mais c'est dans la sphère privée que l'homme manifeste le plus sa violence. Une enquête récente rapporte que 18 à 45% des hommes (la fourchette est large mais significative) reconnaissent abuser de leur femme : viols, mauvais traitements. Dès l'âge de la puberté, la jeune fille est le point de mire de la concupiscence des cousins et des oncles. Inceste et surtout viols sont loin d'être rares mais l'on n'en parle que depuis peu, par exemple dans le film "Le mariage des moussons". Le jeune indien romantique en face de la jeune fille qu'il convoite, semble avoir laissé depuis quelques années la place à un mâle brutal qui n'hésite plus à agresser, défigurer ou tuer la jeune fille qui l'éconduit. Des faits divers, particulièrement révoltants, ont eu un large écho dans les media.

Les inhibitions sexuelles masculines expliquent très certainement cette violence. La promiscuité dans les familles élargies, l'éducation séparée des garçons et des filles, le puritanisme des dynasties Musulmanes qui gouvernèrent l'Inde pendant des siècles, avant d'être évincées et remplacées par des colonisateurs Britanniques à la morale tout aussi rigide, ainsi sans doute que d'autres facteurs, concourent à créer une société compartimentée et apparemment névrosée.

L'un des rares psychiatres indiens à avoir été formé selon l'école freudienne, Sudhir Kakar, estime que l'homme indien est un être immature. Elevé uniquement par des femmes dans sa prime jeunesse, il est choyé par sa mère, ses tantes et cousines. Tout ce qui est féminin est vu comme bon. Après son initiation de l' upanayana vers 11-12 ans, il va désormais vivre dans le monde séparé et machiste des hommes. Il en gardera une image double et ambiguë de la féminité qui se traduit parfaitement dans les croyances religieuses. Tantôt, la Déesse est aimante, douce et protectrice, tantôt elle est cruelle, dévorante et destructrice. Ainsi en est-il de Kâlî qui symbolise parfaitement cette ambivalence. La mère est à la fois aimée, vénérée mais aussi redoutée. L'homme adulte ne parvient pas à assumer une relation d'équilibre avec une femme. C'est pourquoi tant d'indiens préfèrent se marier avec des gamines à peine nubiles qu'ils peuvent aisément subjuguer et terroriser.

Les annonces matrimoniales demandent la plupart du temps que la future épouse soit bien éduquée. Hélas, il arrive encore, même si elle est pourvue d'un diplôme qui lui permettrait d'exercer un bon métier, que la jeune femme se voit confinée dans son foyer par un mari jaloux, le choix d'une épouse éduquée n'étant qu'un prétexte pour rehausser son propre statut social. Heureusement, les femmes éduquées se laissent de moins en moins prendre à ce genre de piège, et beaucoup de jeunes femmes sont moins pressées de se marier que les hommes.

L'homme indien se dit facilement sentimental. On veut bien le croire. L'énorme industrie cinématographique produit des centaines de films par an dont la grande majorité mélange danses rythmées, scènes d'amour naïves avec héroïne au regard de biche et mâle au regard protecteur, et chansons d'amour. Le succès de ces films est phénoménal. L'amour y est bluette romantique : les héros ne s'embrassent jamais. De vrais problèmes sont néanmoins abordés avec intelligence, contribuant à faire évoluer les idées. Mais l'amour reste avant tout sentimental, ce qui est incompréhensible dans un pays où les mariages sont arrangés par les parents et où l'amour ne naît éventuellement que dans l'épanouissement d'une vie de couple réussie.

Sentimental, l'Indien l'est aussi dans sa dévotion envers des divinités telles que Râma et Krishna. Un grand nombre de bhajans (chants dévotionnels) font partie de la pratique de la Bhakti, dévotion sans limite envers le Divin.

Ainsi, le tableau du comportement de l'homme, s'il est souvent peu flatteur, est-il en fait contrasté. La société de consommation qui se répand de façon fulgurante dans ce pays à la forte croissance économique, renforce le matérialisme et la recherche de l'argent et des plaisirs à tout prix. Les différences de niveaux de vie, surtout en ville, accroissent l'anxiété masculine et son agressivité.

On espère cependant que l'Inde en voie de modernisation ne perd pas son âme. Si le voyageur est souvent attiré par ce pays, c'est que la spiritualité, l'ambiance religieuse, sont omniprésentes. Il suffit de regarder autour de soi. Les chauffeurs de camions, voitures, moto rickshaws, ont tous une ou plusieurs divinités sur le tableau de bord de leur véhicule. Les commerçants, quand ils ouvrent leurs échoppes, brûlent de l'encens pour honorer la divinité du petit autel qu'ils y ont immanquablement installé. Des gens passant dans la rue touchent le dos ou la bosse d'une vache pour quérir sa bénédiction. Dans certaines villes, comme Varanasi (Bénarès), il est d'usage qu'un Ganesh de pierre, placé au-dessus des portes d'entrée, accueille le visiteur. Au Rajasthan, à l'occasion des mariages, on peint des Ganesh sur les murs de la maison des nouveaux mariés. Dans les rues, la présence d'un temple se signale par d'innombrables guirlandes de fleurs vendues à proximité. Des quotidiens lus par des millions de personnes, comme le Times of India ou l'Hindustan Times, ont leur page religieuse et spirituelle. Plusieurs chaînes de télévision sont consacrées à des émissions religieuses. De nombreuses fêtes religieuses ponctuent la vie tout au long de l'année : Dipavali, Holi, Ganesh Chaturthi, Mahashivaratri, Durgâ Pûjâ (Navaratri), Ramnavami, etc. sont l'occasion de prières, cérémonies dans les temples, jeûnes, largement suivis par les Hindous.

L'Inde est le seul pays où l'on enseigne une langue morte que parlent de nombreuses personnes : le sanscrit, langue des textes sacrés...

Le Web fourmille de portails et sites consacrés à la religion hindoue. On peut y commander des pûjâ en ligne, écouter des mantras...

Santé et alimentation

Il n'existe plus de famine comme l'Inde a pu en connaître par le passé. La dernière famine importante a eu lieeu au Bengale en 1943. Au moment de l'indépendance (1947), tous les experts disaient que l'Inde n'était pas autosuffisante et ne le serait jamais. Malgré une croissance démographique problématique, l'Inde est exportatrice de produits alimentaires depuis des années. Tout le monde a entendu parler de la "Révolution verte" qui, dans les années 60, a fait faire un bond quantitatif considérable à l'agriculture indienne. Les facteurs principaux en ont été : l'adoption de semences sélectionnées à meilleure potentiel de production, développement rapide de l'agriculture irriguée, en particulier par une politique de construction de grands barrages et de toute une infrastructure de réseaux d'irrigation, encouragement aux pompages individuels pour une meilleure utilisation des ressources en eau souterraines, etc.

Il en est résulté une meilleure offre alimentaire. Il n'en reste pas moins que beaucoup de personnes ultra-pauvres souffrent de sous-alimentation chronique et de carences qualitatives mais la majorité des gens mangent plus et mieux.

La cuisine indienne présente deux particularités :

 l'utilisation habile des épices qui lui confère une gamme de saveurs étendue et
 une prédominance de plats végétariens.

Beaucoup d'indiens sont végétariens, autant par culture que par nécessité économique. Le respect de la vie animale, très polarisé sur les bovins, s'applique également aux autres animaux. Les Brahmanes orthodoxes ne mangent même pas d'oeufs. De larges couches de population, surtout urbaine, accommodent le poulet et le mouton. En revanche, la consommation bovine est réservée aux Musulmans et Chrétiens sous la réprobation horrifiée des Hindous.

Globalement, la cuisine indienne est diététiquement équilibrée. Les glucides (féculents) sont fournis par le blé dans le nord (chapati, naan) et le riz dans le sud. Les protéines sont apportées par les légumineuses : lentilles (dal) et pois divers. Les lipides sont fournis par les dérivés du lait (ghee = beurre clarifié) et diverses huiles de palme, de coton, d'arachide, de sésame, etc. L'huile d'olive, qui n'est pas produite dans le pays, fait actuellement une percée avec 10 millions de litres importés chaque année et un taux de croissance de 40% par an, grâce à ses qualités diététiques qui commencent à être connues. Mais par rapport aux quelque 600 millions de litres d'huiles diverses consommées chaque mois en Inde, le phénomène reste marginal et le restera sans doute pour des questions de prix.

Beaucoup d'Indiens souffrent de malnutrition génératrice de diverses pathologies. Même dans les classes aisées, les gens mangent trop de chapatis et pas assez de légumes. Ils raffolent des sucreries (les pâtisseries en offrent un large éventail) et de sodas trop sucrés. Diabète et hypertension sont deux maladies répandues en Inde. Certains chercheurs estiment qu'il existe une propension génétique à ces deux pathologies et les mauvaises habitudes alimentaires ne peuvent qu'amplifier leur développement. Dès les années 50, Swami Shivananda, médecin et yogi réputé, proposait des méthodes spécifiques de yoga pour prévenir et combattre ces fléaux. La sédentarité de nombreuses femmes de milieux bourgeois dans les villes, couplée avec leur gourmandise (un indice de leurs frustrations) entraîne de l'obésité dès la trentaine. Même les enfants n'échappent pas au surpoids. Les Fitness Clubs fleurissent et les journaux féminins abondent de conseils judicieux.

L'industrie pharmaceutique indienne joue un rôle très important et croissant dans la production de médicaments. Les génériques y occupent une place prépondérante. Les initiatives européennes en vue de fournir des traitements du sida (trithérapie) aux pays Africains gravement atteints sur des financements internationaux devaient favoriser cette industrie indienne. L'insuffisance des fonds collectés par les Nations Unies, combinée aux manoeuvres monopolistiques des multinationales américaines, entravent lourdement ce projet.

Mais l'Inde est surtout connue pour sa médecine autochtone ayurvédique dont les conceptions, très différentes de celles de la médecine occidentale, reposent sur l'utilisation d'extraits végétaux et minéraux combinés à des techniques particulières de massage. La médecine ayurvédique est très ancienne.

Aperçu sur l'artisanat

Il est rare qu'un touriste vienne en Inde et ne se laisse pas tenter par des objets artisanaux. L'Inde peut se targuer d'avoir en la matière une longue expérience de savoir-faire dans de nombreux domaines. Notre propos est ici d'en explorer quelques uns.

Artisanat de la pierre

Depuis des siècles, les pierres ont été sculptées en Inde pour leur donner la forme attribuée aux divinités. L'art sculptural n'était pratiqué que dans un but religieux. Il était donc confié à des maîtres artisans respectant les règles iconographiques que des ouvrages spécialisés (Shilpi Shastra) avaient codifiées. Cet art a perduré jusqu'à nos jours mais n'est plus pratiqué que dans un nombre limité de centres de production :

 A Jaipur, au Rajasthan, on emploie le beau marbre blanc de Makrana
 A Mahabalipuram (Tamil Nadu) où une école d'Etat de sculpteurs fait vivre la tradition, on utilise un granite gris pour les statues des temples et une gamme de pierres moins dures : marbre brun rouge et autres pierres vertes, noires, gris perle, blanches... pour des statuettes destinées aux touristes. Des sujets non religieux (éléphants, tortues, etc.) diversifient l'offre
 A Bhubaneshvar (Orissa), on sculpte de grandes statues de divinités dans une sorte de grès (khondalite) rose du plus bel effet. Une serpentine plus tendre permet des sculptures très fines dans les tons vert foncé

On ne saurait parler du marbre sans citer le luxueux artisanat d'Agra (Uttar Pradesh) où d'habiles artisans incrustent dans un beau marbre blanc des pierres semi-précieuses formant de jolis motifs souvent floraux. Les objets (tables, boites, plats, etc.) sont vendus cher. Il convient de vérifier que le "marbre" en question n'est pas une simple pierre tendre ("soapstone", pierre de savon) incrustée de verre coloré.

Parmi les autres pierres, on mentionnera les sculptures en beau grès rose de la région de Jaipur (Rajasthan). On en confectionne, à l'usage des amateurs, des statues, parfois de grande taille, de divinités telles que Ganesh ou Hanuman mais plus couramment des éléments de décoration de jardin (bancs, fontaines, balustrades). C'est ce même grès qui a servi à la construction de la fameuse ville de Fatehpur Sikri par l'Empereur Aqbar au 16ème siècle. De nombreux autres monuments anciens ont été construits avec le même matériau (Fort Rouge d'Agra et de Delhi, tombeau d'Humayun à Delhi, etc.).

En ce qui concerne les pierres semi-précieuses, Jaipur (Rajasthan) est le plus grand centre mondial de taille. La gamme disponible dans les bijouteries et les négociants n'est pas limitée aux minéraux originaires de l'Inde. C'est ainsi que l'on trouvera : la citrine, l'améthyste, l'agate, la cornaline, le grenat, la tourmaline, la pierre de lune, l'oeil de tigre, le lapis-lazuli, la labradorite, le cristal de roche (quartz), l'aigue-marine, l'opale, le jade, sans compter la turquoise et le corail la plupart du temps faux.

Ceux qui sont intéressés doivent en effet savoir que les fausses pierres abondent et qu'il vaut mieux faire ses achats dans une bijouterie. Quelques magasins vendent des statuettes de divinités sculptées dans la plupart de ces variétés minérales; il s’agit le plus souvent de Ganesh, le Dieu auspicieux par excellence.

Jaipur est également le grand centre de taille des pierres précieuses de couleur : émeraude, rubis, saphir. Seul le rubis est autochtone et n'a, le plus souvent, pas la même qualité que celui de Birmanie ou du Vietnam.

Surat (Gujarat) est un centre de taille du diamant qui a émergé ces dernières années.

Dans les matières minérales, on n'oubliera pas qu'Hyderabad (Andhra Pradesh) est le centre incontesté des perles.

Puisqu'on parle de perles, on remarquera que l'Inde est un producteur notable de perles de verre coloré pour la fabrication de colliers et bracelets fantaisie. On en trouve de nombreuses variétés à Delhi ou à Varanasi (Uttar Pradesh).

Artisanat de la terre

La terre est peut-être le parent pauvre de la pierre mais elle sert à confectionner toute une gamme d'objets artisanaux souvent jolis, originaux et bon marché mais hélas fragiles. Les centres de production sont très nombreux. On se limitera à citer deux d'entre eux, exceptionnels pour l'originalité des formes :

 Bankura (West Bengal), célèbre pour ses chevaux hauts sur pattes de terre rouge
 Molela (Rajasthan) spécialisé dans les stèles représentant des divinités

De plus, à l'occasion des fêtes religieuses sont fabriquées de grandes effigies de divinités, les plus connues étant Durgâ à Calcutta, Ganesh à Mumbay. Les artisans fabriquent en premier une ossature en osier qui est ensuite recouverte de glaise en couches successives, séchées au soleil, peintes de couleurs vives puis habillées. Ces statues sont commandées par les habitants des différents quartiers de la ville et participent au défilé dans les rues lors de la fête. Elles sont ensuite conduites au bord de la mer pour y être immergées à Bombay, dans le fleuve à Calcutta.

Le voyageur qui parcourt les routes du Tamil Nadu remarquera à l'entrée de quelques villages de grandes statues de terre cuite représentant des personnages à l'air redoutable : ce sont les Aiyannar, divinités protectrices du village qui éloignent les démons. Ils sont encadrés de chevaux hauts sur pattes également en terre cuite. Cet art traditionnel tend à régresser.

Artisanat du métal

Commençons par le plus noble, l'or. Les femmes indiennes sont friandes de bijoux en or et beaucoup d'achats sont faits à l'occasion des mariages. La plus grande diversité des créations, qui reproduit souvent des motifs anciens, s'observe au Rajasthan. Le raffinement de ces bijoux n'est pas souvent conforme au goût européen. Une spécialité de Jaipur est la technique du minakari qui mélange les émaux de couleur à l'or. Le résultat est très séduisant.

L'argent est très largement employé au Rajasthan pour la confection de bijoux plus populaires. Les bijoux anciens se font désormais plus rares mais l'on trouve de très bonnes copies. Des bijoux au look plus moderne, en association également avec des pierres semi précieuses, sont fabriqués en grande série pour les besoins du tourisme (colliers, bracelets, bagues, pendentifs, ...).

De la même manière que l'or n'est pas toujours titré à 18 carats, l'argent est vendu avec des titrages variables. Certains petits bijoutiers jureront que ce qu'ils vous proposent est en argent à 92 ,5% (sterling silver) mais des alliages à 60% voire moins sont monnaie courante. Ces derniers, portés sur la peau, s'oxydent rapidement et laissent une trace noire.

La technique du bidri incruste des fils d'argent pour former de jolis motifs décoratifs sur des objets de métal noir : plats et boites. C'est une spécialité d'Hyderabad (Andhra Pradesh).

Le bronze et le laiton sont employés depuis des siècles pour la confection de statues de divinités et d'objets utilitaires ou décoratifs : pots à eau, vases, boites à bétel, chandelier, coffres à bijoux, etc. La gamme est large et les centres de production nombreux :

 L'Uttar Pradesh dont les produits sont surtout vendus à Delhi s'est fait une spécialité d'une production de masse de statues et d'objets en laiton bon marché, vendus au poids mais de finition souvent moyenne
 L'Himachal Pradesh connaît un renouveau en reproduisant des statues selon des modèles anciens
 Le Kerala produit de gigantesques plats en cuivre jaune dans lesquels on prépare la nourriture des pèlerins dans les temples
 Le Tamil Nadu s'enorgueillit à juste titre de continuer jusqu'à nos jours la production de statues de divinités en bronze selon la technique de la cire perdue. Des alliages traditionnellement constitués de cinq métaux (panchaloha), dont l'or et l'argent en petites quantités, sont exclusivement réservés aux statues des temples, sur commande. Les statues "commerciales" sont faites d'un alliage de trois métaux. Le travail est fignolé à l'extrême et les résultats peuvent égaler la statuaire classique des Chola (12ème au 13ème siècles), le summum des réalisations artistiques indiennes en métal.
 L'artisanat tribal de l'Ouest Bengale, de l'Orissa et du Chattishgarh n'est connu du public Occidental que depuis un petit nombre d'années. Les techniques sont celles de la cire perdue avec des variantes selon les localités. La plus connue est le dokra de la région Bastar (Chattishgarh) dont les statuettes ont l'air d'être constituées de fils enroulés. Le résultat est souvent excellent et témoigne d'un génie créatif fruste mais vivant. En France, le Musée Asiatica de Biarritz présente, entre autres, une remarquable sélection de ces oeuvres tribales.
 L'Orissa se caractérise aussi par une petite production d'ustensiles domestiques en bronze, dont les fameux bols chantants (soi-disant tibétains) très chers en France sont vendus ici au poids.

Parmi les artisans du métal, les tribaux fabriquent également d'amusantes figurines et animaux en fer forgé (Bastar).

Artisanat du bois

Pour un pays dont les forêts occupent une place de plus en plus restreinte, l'Inde produit une gamme intéressante d'objets en bois. Il était d'usage au Rajasthan et au Gujarat principalement, de construire en bois sculpté d'impressionnantes fenêtres (jarokha) ornant la façade des maisons bourgeoises (haveli). Les montants de porte et les portes elles-mêmes étaient faits également en bois finement sculpté. On en voit de beaux exemples au Craft Museum à Delhi ainsi qu'au Dakshina Chittra (banlieue sud de Madras, Tamil Nadu) pour les maisons bourgeoises du Chettinad (centre sud du Tamil Nadu). L'exode vers les villes des riches commerçants ruraux a laissé à l'abandon une partie importante de ce patrimoine. Les antiquaires Européens en ont largement profité dans les années 70 à 80. De nos jours, les éléments anciens de bois architecturaux se sont faits plus rares et plus chers. On en trouve encore quelques uns au Kerala mais l'artisanat a pris le relais pour produire de bonnes copies d'aspect vieilli. Au Rajasthan, Jodhpur est le centre de vente en gros de meubles. Au Kerala, on en trouve à Cochin.

La statuaire des divinités utilise également une large palette de bois au premier rang desquels on citera le santal. Essence précieuse exclusivement produite dans le sud, du santal émane une plaisante odeur caractéristique. Le prix élevé de la matière première fait qu'on le réserve pour des objets de qualité.

Parmi les autres bois, on citera le bois de rose au Karnataka et au Kerala, le manguier au Tamil Nadu, le deodar (une sorte de cèdre du nord dans la zone himalayenne) dans le nord, le teck un peu partout. Les productions en bois de manguier du Tamil Nadu sont souvent peintes. Le Karnataka fabrique des meubles et panneaux en bois de rose incrusté d'autres bois plus clairs pour former des éléments décoratifs.

Diverses spécialités régionales emploient des bois légers et faciles à travailler, peints ensuite de vives couleurs. On citera :

 Les personnages musiciens de Bassi (Rajasthan)
 Les jouets de Kondapalli (Andhra Pradesh)
 Les divinités de Varanasi (Uttar Pradesh)

Autres produits végétaux

Les Etats du Nord-est de l'Inde (Assam, Tripura, Nagaland, etc.) sont connus pour leurs productions d'objets en osier : meubles, fauteuils, paniers, etc. Le bambou est aussi largement utilisé. Les fibres de jute se retrouvent dans de frustes tapis artisanaux, ainsi que les produits dérivés de la fibre de coco.

Les tissus

La gamme en est inimaginable et des livres entiers ont été consacrés aux techniques de tissage et au design des tissus. L'amateur visitera à Ahmedabad (Gujarat) l'excellent Musée du Calico consacré à l'art du tissu. Cette région du Gujarat est l'une des plus renommées de l'Inde. Le touriste aura également de quoi réjouir ses yeux avec les innombrables tissus vendus au Rajasthan. On y trouve des batiks et surtout des tie and dye, des ikats et des tissus imprimés au bloc.

Les personnes attirées par les saris apprendront à reconnaître les variétés, différentes les unes des autres, selon les régions. On citera :

 les saris en soie brocardée de Bénarès (Varanasi - Uttar Pradesh), sans doute les plus réputés,
 les saris Patola en soie du Gujarat
 les saris Paithani en soie du Maharashtra
 les saris Kosa en soie du village de Ganeshpur au Maharashtra
 les saris de soie de Chanderi, Maheshwari et Tussar au Madhya Pradesh
 les saris Baluchari de Murshidabad au Ouest Bengale
 les saris Sambalpuri d'Orissa en soie mais aussi en ikat
 les lourds saris de soie de Tanjore, Kumbakonam et Kanchipuram
 etc.

Les saris bon marché sont en coton. Les saris "habillés" sont en soie et peuvent atteindre des prix considérables. Acheter un sari n'est pas une mince affaire tellement le choix est vaste et les couleurs attrayantes.

Avec les chutes de tissu de coton, une industrie de recyclage s'est développée pour la production de papiers de luxe dont on fait de ravissants carnets. Une grande partie est exportée vers l'Europe. On peut visiter des unités de fabrication à Sanganer près de Jaipur.

Autres tissages

Les tapis indiens les plus réputés sont produits au Cachemire. Malgré la situation politique instable de cette région du nord, les productions artisanales n'ont jamais cessé. Les tapis Cashmiri sont fabriqués le plus souvent en laine, parfois en soie et atteignent alors des prix élevés. Le Cachemire, ainsi que certaines régions de l'Himachal Pradesh (vallée du Kulu) sont renommés pour leurs tissages d'écharpes et de châles de laine. Une laine très fine, dite pashmina, est récoltée sur le cou d'une certaine chèvre vivant en haute altitude dans la chaîne himalayenne. Les vendeurs ont tendance à baptiser pashmina tous ces produits, de nombreux touristes étant dans l'incapacité de faire la différence.

Les dhurries sont des tissages de fils de coton de couleur pour produire des tapis et tentures aux motifs géométriques. Ils sont fabriqués dans la région de Salawas, par la tribu Bishnoï, non loin de Jodhpur (Rajasthan).

Les tribus nomades (Rebari) du Gujarat ont un artisanat spécifique de tentures ornées de broderies et de petits miroirs dans diverses teintes de rouge. Parfois ces tentures sont constituées de patchworks. Le touriste étant friand de ces produits bien colorés, la confection de sacs, pochettes, coussins et même vêtements s'est développée dans le même style. Cet artisanat se retrouve au Rajasthan (Jaisalmer), moins diversifié.

Les tissages du Nagaland de grands châles en coton rouge et noir sont à l'origine destinés aux hommes.

L'art de la peinture

Depuis des siècles, des écoles régionales ont prospéré dans l'art de la miniature. On connaît les écoles de Jaipur, Jodhpur, Bundi, Kota, Mewar, Kishangarh, etc. au Rajasthan, ou encore les écoles Kangra, Basholi, Pahari en Himachal Pradesh... D'autres encore, ont été plus ou moins éphémères. Contrairement à beaucoup d'autres pans de l'art ou de l'artisanat, la miniature ne s'est pas concentrée uniquement sur les sujets religieux. On y trouve certes toutes les déclinaisons de la Geste de Krishna mais les scènes de cour, de chasse, de guerre, d'amour courtois et parfois d'érotisme y sont largement représentées. Les miniaturistes ont exercé leur talent sur papier, sur tissu de coton ou de soie, ainsi que sur marbre et autrefois sur ivoire, sans parler des peintures murales. La qualité et la finesse des oeuvres sont évidemment inégales. La demande du marché touristique permet à cette activité de se maintenir à un bon niveau.

Moins connues sont les peintures sur toile de l'Orissa dénommées pattachitra. Dans certains cas, la toile était traitée par des produits qui lui conféraient la raideur et le brillant du linoléum. A l'origine, ces peintures, de grande taille, étaient destinées aux temples. On en voit de beaux exemples au Musée de Bhubaneshvar. Les sujets représentaient le Dieu Jagannath (forme locale du Dieu Vishnu), honoré à Puri, ou encore différentes légendes relatives au Dieu Krishna. De nos jours, la tradition des pattachitra demeure vivante dans le village d'artisans de Raghurajpur près de Puri. Les oeuvres sont de dimensions plus modestes mais la qualité reste bonne et parfois exceptionnelle. La gamme des sujets s'est également un peu élargie : le Dieu Ganesh, par exemple.

Les tissages de coton d'Andhra Pradesh sont traités selon une technique particulière, le kalamkari. Le dessin est d'abord exécuté au crayon sur la toile. Chaque couleur est traitée séparément et n'utilise que des colorants végétaux, ce qui prend un temps considérable. Les teintes dominantes sont le brun, le bleu, le jaune, le vert. Si le linge de maison et les vêtements en tissu kalamkari restent communs et bon marché, les tentures représentant des divinités sont devenues rares car seules quelques familles pratiquent cet art à Sri Kalahasti.

Parmi les arts picturaux, on ne saurait oublier les dessins de Madhubani (Bihar). Traditionnellement, les femmes de ce village peignaient, sur les murs des chambres nuptiales, des dessins naïfs représentant des divinités ainsi que des animaux, des plantes, etc. Elles ont depuis transposé leur savoir-faire sur des feuilles de papier à dessin qui sont commercialisées à des prix raisonnables. On observe depuis peu une évolution des meilleures artistes vers la sophistication à des prix plus élevés.

Peintures de Tanjore

L'art de ces peintures s'est développé dès le 17ème siècle. Elles sont caractérisées par des parties en relief et l'emploi abondant de dorures. Les sujets sont presque exclusivement religieux, avec une forte concentration sur le thème de Krishna enfant. Fortement colorées, ces peintures ont un style qui nous semble très kitsch.

Une autre école similaire s'était développée à Mysore mais s'est beaucoup moins maintenue (voir Musée de Bangalore).

Papier mâché

Tous les touristes connaissent les boites, bracelets, sous-verres, porte photos, etc. en papier mâché du Cachemire. Ce sont de jolis articles peu coûteux, peints de motifs floraux et animaux aux couleurs vives et recouverts d'un vernis brillant. D'autres régions proposent dans ce même matériau des animaux à Puri (Orissa), des boites et des divinités au Bihar.

Conclusion

La diversité géographique, ethnique et culturelle de l'Inde a généré, tout au long de sa longue histoire, les formes les plus variées de l'artisanat. La distance entre l'artisanat et l'art n'est pas grande lorsque l'objet est beau, lorsque celui qui l'a fait met tout son talent et son inspiration à créer quelque chose qui le dépasse. Mais force est de constater que la production de masse banalise l'objet. Dans ses achats de souvenirs bon marché, le touriste devra faire preuve de discrimination. Il n'existe pas de règles, tout au plus peut-on conseiller de visiter quelques emporiums (magasins) d'Etat où les prix sont parfois plus élevés qu'au bazar, mais fixes et en tout état de cause raisonnables. Ne croyez pas les conducteurs de rickshaws qui proposent de vous emmener dans des "Gouvernment shops" qui sont, en réalité, des magasins privés aux prix très élevés où ils touchent une commission très importante.

A Delhi, les "vrais" emporiums d'Etat sont situés sur la Baba Karakh Singh Marg, trottoir de droite quand on vient de Connaught Place. On peut aussi visiter le Central Cottage Industries Emporium en face du Tibetan Market sur l'avenue Janpath.

Dans les régions, les Emporiums d'Etat ont un nom et un seul : Rajasthali (Rajasthan), Poompuhar (Tamil Nadu), Cauveri (Karnataka), Ambapali (Bihar), Lepakshi (Andhra Pradesh).

Un centre de ventes à Delhi, le Dilli Haat, donne l'occasion aux artisans de diverses régions de proposer leur production. Les stands sont périodiquement renouvelés. Ouvert tous les jours de 10h30 à 21.00 heures.

De nombreux bazars et marchés à Delhi sont appréciés des touristes ainsi que des Delhiites. Sans être exhaustif, on citera le Main Bazar de Paharganj très animé et fréquenté par de nombreux jeunes étrangers, le Sadar Bazar à l'agitation populaire frénétique, Chandni Chowk où l'on trouve de tout, dit-on, les centres plus bourgeois de Karol Bagh, Khan Market, Haus Khas Village, Sundernagar Market, etc., ainsi que l'incontournable Tibetan Market connu de tous les visiteurs et, non loin de là, le souterrain Palika Bazar, sous la célèbre Connaught Place.

Inde : archaïque ou moderne ?

Les catalogues de voyages et les dépliants touristiques, qui ne sont jamais à court de clichés, diraient que l'Inde est une terre de contrastes : son immensité géographique (3287590 km2 soit six fois la France, 2933 km d'Est en Ouest et 3214 km du Nord au Sud), sa population pléthorique, environ 1,3 milliards d'individus. Le nombre des langues parlées ne fait pas l'unanimité selon les sources : si l'Etat reconnaît officiellement 22 langues nationales (mais on lit aussi le chiffre de 18), on dénombrerait près de 3400 (3372 !!) langues et dialectes locaux. En fait, il n'y en aurait que 13 (en plus des 22) parlées par plus de 5 millions de locuteurs et 216 concernant des groupes de plus de 10000 personnes...

On en valide en tout cas, même avec ces approximations, l'idée d'une diversité extrême des conditions sociales, économiques, religieuses, culturelles, ...

Il n'est donc pas surprenant que le voyageur soit, dans ce pays étonnant, témoin de scènes qui reflètent la multiplicité des différents plans de vie. Nous nous attacherons ici à rapporter quelques éléments à l'appui de deux thèses opposées :

1. L'Inde est un pays encombré d'archaïsmes, paralysé par une bureaucratie omniprésente et inefficace, évoluant vers le monde moderne avec regret et dans certains secteurs seulement
2. L'Inde est un pays démocratique dynamique, ce qui permet l'émergence rapide d'une modernisation. Les îlots encore évidents de structures obsolètes, inadaptées aux besoins de la société se réforment d'ailleurs par les effets de politiques libérales.

Sans doute, les exemples choisis ci-après peuvent-ils influencer l'opinion prépondérante. A chacun de se faire un avis après lecture ou, mieux encore, en allant sur place et en gardant les yeux, et surtout l'esprit, ouverts.

Les chemins de fer

L'Inde possède un réseau ferrré énorme (63122 km en 2003 dont 42000 km voies larges standardisées, 17000 km en voies métriques et 3700 km en voies étroites de deux pieds), qui fut le plus long du monde pendant longtemps, paraît-il, maintenant dépassé par la Chine. Les Britanniques, durant l'époque coloniale, développèrent cette infrastructure qui répondait à un double objectif :

 Permettre l'acheminement rapide de troupes et de matériel militaire pour contrôler plus aisément un empire immense et disparate,
 Transporter vers les ports les produits agricoles que les colons exportaient vers la Métropole (coton, thé, jute, indigo, épices, etc.)

Entreprise publique, la Compagnie des Chemins de fer (Indian Railways) joue toujours un rôle majeur dans les échanges commerciaux. Largement subventionnée, elle permet à 8,4 milliards de passagers soit 23 millions par jour, de voyager dans des conditions certes souvent sommaires mais qui ont le mérite d'exister. Le frêt ferroviaire, quant à lui, ne s'est pas développé car très fortement concurrencé par la route. Un certain nombre de voies sont restées au standard métrique et la modernisation des infrastructures (ouvrages d'art, passages à niveau, motrices, wagons, etc.) demeure marginale. Le matériel roulant est globalement vétuste. Les vitesses sur le réseau sont dérisoires : les trains de voyageurs les plus rapides (Shatabdi, Rajdhani) plafonnent à 70-75 km/h de moyenne. Les trains ordinaires (omnibus) se traînent à 20-30 km/h.

Cependant, dans ce contexte pesant, des points de modernisation sont perceptibles. Ainsi, les réservations sont elles entièrement informatisées. Il est également possible de réserver et de payer son billet par Internet (complexe et incertain). Ou bien acheter son billet tatkal (24 h max avant) dans une agence de voyage locale. Dans les grandes villes, à la gare, un bureau spécial de réservation et émission de billets est réservé aux étrangers (ou Indiens de l'étranger) et des quotas de places leur sont réservés. Ces facilités sont curieusement affectées d'une lourdeur bureaucratique inutile quand, à Delhi, le paiement d'un billet en roupies requiert la présentation d'un reçu de change de devises...

Le réseau routier

Le réseau routier indien se subdivise en routes nationales (34608 km), routes régionales (128622 km) et routes terminales (2737080 km) soit un total de 3.01 millions de kilomètres. Gigantesque, il fait l'objet, depuis une vingtaine d'années, d'un effort considérable de modernisation. L'objectif à court terme, est d'obtenir un réseau moderne de 65569 km de routes nationales qui, bien que concernant seulement 1.7 % du total, concourt pour 45 % du trafic. Le programme en cours de réalisation consiste à améliorer les routes nationales pour connecter les grandes métropoles : Delhi, Mumbai, Chennai et Calcutta. C'est ce que l'on appelle le Quadrilatère d'or, ainsi que les Corridors Nord-Sud et Est-Ouest reliant Kanniyakumari à Srinagar d'une part, Porbandar à Silchar d'autre part. Ce projet comporte la transformation en 4/6 voies de ces routes nationales.

La route transporterait 65 % du trafic frêt et 87 % du trafic passagers. Le trafic croîtrait au taux de 7 à 10% par an alors que le parc circulant augmente de quelque 12% par an.

Il était temps, car l'accent principal avait été mis pendant longtemps sur le désenclavement des villages par la confection de petites routes de desserte qui n'exigent, il est vrai, pour leur exécution, que de moyens techniques rudimentaires. Ainsi était-il fréquent de voir, le long des routes, des femmes casser les cailloux avec des marteaux et des hommes chauffer le goudron dans de grandes bassines sur des feux de bois pour le verser ensuite à la louche sur la chaussée. Inutile de dire que le revêtement bosselé avait une durée de vie limitée. La modernisation des grands axes a vu apparaître des intervenants de Travaux Publics mieux équipés de machines goudronneuses automatiques.

Mais, à visiter l'Inde, on a l'impression que ces travaux avancent par à-coups. Les finitions traînent en longueur, la signalisation est inexistante : ainsi, passe-t-on de quatre à deux voies sans que rien ne l'indique, ou bien un tronçon refait se termine abruptement par une dénivellée de quelques centimètres (bonjour, la sécurité de la conduite !).

Le comportement des usagers demeure inchangé sur ces axes modernes. On peut aussi bien se retrouver nez à nez avec un camion ou un tracteur circulant à contre-sens qu'avec des troupeaux traversant tranquillement. Lorsque ces quatre voies traversent des villages, la circulation y est chaotique. Au total, il n'est pas raisonnable d'espérer rouler à plus de 70 km/heure de moyenne sur ces axes présumés modernes, qui nécessitent pourtant des investissements colossaux.

La Chine est très en avance sur l'Inde car les grands axes de communication ont été privilégiés par rapport aux dessertes locales. La cohabitation, sur les grandes routes de l'Inde, d'usagers aux vitesses très différentes, est décrite comme un facteur majeur d'insécurité.

La circulation dans les grandes villes relève souvent du casse-tête. Ce n'est pourtant pas faute d'une politique volontariste pour la création d'autoroutes urbaines surélevées ou d'autoponts et échangeurs aux carrefours encombrés. Delhi s'est doté d'un métro de 343 km (chiffre 2019) essentiellement aérien. Il est question d'un super-périphérique pour détourner de la capitale le flux des camions.

Des efforts importants ont été engagés pour diminuer la pollution. Ainsi, à Delhi, tous les rickshaws à moteur ont du s'équiper pour utiliser du gaz liquide à faible pollution, les bus municipaux sont en cours de conversion. A Bombay, les rickshaws sont interdits dans le centre ville. A Agrâ, la municipalité restreint les rickshaws et les camions car les gaz d'échappement attaquent le marbre du Taj Mahal. Mais les problèmes sont tellement énormes que l'on a l'impression que les solutions sont toujours insuffisantes. Dans le vieux Delhi, la densité humaine est telle que la circulation est un cauchemar. La juxtaposition des voitures, rickshaws à moteur, cyclo-rickshaws, charrettes à bras, vélos fait que la vitesse générale est celle du moins rapide. Si on ajoute les vaches, les éléphants (quand même occasionnels) et les piétons, on arrive très vite au blocage.

L'informatique et les technologies de l'information

Le goût et les aptitudes en développement logiciel des indiens viennent probablement d'une longue tradition ancestrale dans les domaines des mathématiques et de l'astrologie.

L’Inde est la première destination de l’offshore en services informatiques avec un chiffre d’affaires de 17,2 milliards de dollars, soit 44 % du marché mondial. Ce marché est en pleine croissance puisqu’il devrait atteindre 94 milliards de dollars en 2008 et l’Inde entend accentuer sa domination en prenant plus de 50 % de ce marché, soit 48 milliards de dollars. En 2005, le nombre d’informaticiens devrait dépasser le seuil du million, soit 200 000 de plus en une seule année.

L’Inde est devenue en quelques années l'un des premiers fournisseurs en développement de logiciels et en services informatiques grâce à une main-d’œuvre hautement qualifiée, anglophone et dont les salaires sont très attractifs pour les entreprises qui souhaitent externaliser une partie de leur activité. La Nasscom (National Association of Sotware and Services companies) estime que le coût horaire d’un développeur indien s’établit entre 18 et 26 dollars contre 55 à 65 dollars en Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis. En nombre d’ingénieurs spécialisés en TIC parlant anglais, l’Inde vient en deuxième position derrière les Etats-Unis.

L'Inde s'enorgueillit, à juste titre, du développement très rapide des technologies de l'information. Cinq cents millions de téléphones portables (chiffre de fin 2019) équipent déjà les Indiens à des prix défiant toute concurrence. Le réseau satellite couvre apparemment les villages les plus reculés. Cette desserte par satellite fonctionnait déjà depuis des années pour les téléphones fixes que l'on trouve partout, signalés par un panneau jaune ISD/STD/PCO (communications internationales, nationales, locales). L'accent est mis maintenant sur l'équipement Internet. Les "cafés Internet" fleurissent dans les villes et les tarifs sont suffisamment attractifs pour permettre à de nombreux jeunes l'accès au WEB.

De nombreux instituts forment des bataillons de diplômés souvent brillants que les multinationales recrutent de plus en plus volontiers. Jusqu'à il y a peu, ces ingénieurs et techniciens s'expatriaient vers des pays anglophones, par exemple la Silicon Valley, en Californie, où ils sont des dizaines de milliers, souvent dans des postes de haut niveau. Mais depuis quelques années, des grandes compagnies privées indiennes ont opportunément saisi la chance du développement phénoménal de ce secteur d'activité : Bangalore, Bombay, Hyderabad, et plus récemment Gurgaon (banlieue de Delhi) ou Calcutta sont autant de pôles d'activité informatique. La production de logiciels est une spécialité indienne mais, en revanche, tout le hardware (composants) est davantage réalisé par des pays du sud-est asiatique, comme la Corée du sud ou Taiwan.

Dans d'autres secteurs voisins des services, l'Inde s'est très rapidement imposée comme un intervenant sérieux. Beaucoup de pays européens et davantage encore les Etats Unis, procèdent à la délocalisation d'activités vers des pays émergents. Ainsi, de nombreuses sociétés font-elles faire en Inde tout le traitement informatique de leur comptabilité. La création, en Inde, de Call Centers (centres d'appels) permet à des sociétés du monde entier de faire traiter à moindre coût les appels téléphoniques de leur clientèle par du personnel parfaitement anglophone dont les salaires sont très inférieurs à ceux des Etats Unis ou de Grande Bretagne. Ces Call Centers sont cependant critiqués : le métier d'opérateur standardiste est stressant, oblige à des horaires de travail décalés puisque le client qui appelle une société ne sait pas que la personne qui lui répond est à 15000 km, sur un autre continent. Ces Call Centers recouvrent des activités aussi diverses que l'assistance à la vente de produits, les réservations d'hôtels ou de tickets de vols aériens, les demandes techniques, le service clientèle des banques, le marketing à distance, la recherche de débouchés pour les produits, etc.

Les jeunes diplomés (souvent sur-diplomés par rapport aux compétences réellement requises dans ce travail) qui y sont embauchés sont certes ravis de bénéficier d'un salaire alléchant d'après les standards locaux, mais n'y restent souvent pas plus de quelques mois.

Plus sérieux encore, le développement rapide des Call Centers pourrait très bien n'être qu'un feu de paille. D'autres pays pourraient d'ici peu s'avérer des compétiteurs redoutables, telle la Chine qui a lancé un gros programme pour mieux former ses jeunes diplomés à la pratique de l'anglais (un opérateur de Call Center doit parler sans accent trahissant son origine).

Mais le sous-continent Indien a évolué, ces dernières années, en augmentant considérablement ses compétences et capacités techniques. Les fameux centres d’appels (voir plus haut) sont désormais moins importants que la conception de circuits intégrés ou le développement de technologies avancées. Plusieurs fournisseurs informatiques ou télécoms américains de premier plan y ont leur plus important centre de développement après ceux fonctionnant aux Etats-Unis. C’est le cas de Sun, Cisco ou Microsoft par exemple. Capgemini qui y emploie déjà 2500 personnes a indiqué récemment qu’elle comptait passer rapidement à 10 000 personnes. Dell doit également atteindre ce nombre de 10 000 personnes. Par ailleurs, IBM compte recruter quatorze mille salariés en Inde d'ici à la fin de l'année selon une information parue fin juin 2005 dans le New York Times.

L’Inde possède aujourd’hui des entreprises de taille internationale comme Infosys ou Wipro (respectivement 1,6 et 1,87 milliards de dollars de chiffre d’affaires). Ces deux entreprises sont en plus largement profitables avec des bénéfices de 419 et 363 millions de dollars. Le secteur des TIC est donc celui qui connaît la plus forte croissance en Inde. En ajoutant les exportations de logiciels et services et l’outsourcing, le marché indien des TIC a augmenté de 32 % sur un an, au 31 mars 2005, pour atteindre 22 milliards de dollars. C’est l’activité d’outsourcing qui augmente le plus vite avec un taux de croissance de 50 % environ pour dépasser plus de 5 milliards de dollars.

Cependant l'Inde pourrait connaître une pénurie de main d'œuvre dans le secteur IT d'ici cinq ans. Toujours selon le Nasscom, cette branche emploie actuellement environ trois cent quarante-huit mille personnes, 42% de plus que l'année dernière, un chiffre qui devrait s'établir quatre cent soixante-dix mille dans un an et à un million en 2009.

Si l'Inde compte plus de un milliard d'habitants, moins de 10% des jeunes diplômés possèdent les compétences nécessaires à rejoindre l'industrie IT. On redoute donc une pénurie de main d'œuvre d'ici cinq ans, entre deux cent cinquante mille et trois cent mille. Le problème crucial du pays ne serait pas la quantité de travailleurs, mais leurs compétences, car la quantité ne compense pas la qualité.

Dans des domaines différents, mais qui n'en sont pas moins importants pour le développement du pays, l'utilisation des nouvelles technologies permettra d'amener l'éducation pour tous dans les villages et conduit à des recherches sur le E-learning (télé-enseignement) et les bibliothèques numériques. Un vaste projet de numérisation des documents anciens vise à la conservation du patrimoine qui risque de disparaître de par la dégradation des supports (papier, encre). Le support des nombreuses langues nationales ou anciennes pose des problèmes importants aux développeurs, la majorité des logiciels étant basés sur les langues anglo-européennes. Dans les universités et les centres de recherche, la carence en moyens (vieux PC servant de serveurs, coupure de réseau fréquentes, salles informatiques mal climatisées...) est compensée par une extrême motivation des professeurs et étudiants.

Le secteur médical

L'Inde se fait une spécialité, depuis quelques années, du tourisme médical. Quelques hôpitaux haut de gamme proposent à la clientèle étrangère des interventions chirurgicales à des tarifs trois à quatre fois inférieurs à ceux pratiqués en Occident : orthopédie, pontage cardiaque, prothèse dentaire attirent ces touristes d'un nouveau style (500000 en 2017). Les compétences hors pair des praticiens, l'hygiène au moins comparable à celle que nous rencontrons dans nos établissements (ce qui n'est pas trop difficile vu la fréquence des maladies nosocomiales en France), le confort et l'hôtellerie supérieurs à nos standards (là, c'est encore moins difficile), suffisent à assurer l'expansion de ce créneau des services.

Hélas, ce tableau flatteur de la médecine indienne n'est pas du tout représentatif de la situation générale. L'Inde est pratiquement le dernier des pays asiatiques en termes de pourcentage du PNB consacré à la santé. Les hôpitaux et dispensaires des villages sont démunis de tout, manquent de moyens (équipement, médicaments), comme de personnel. Dans l'Inde rurale, peu motivés par des salaires de misère, certains médecins émigrent à contre coeur aux Etats Unis, d'autres se réfugient dans l'indifférence et parfois, à l'instar de certains infirmiers et auxiliaires de santé, monnayent des soins présumés gratuits. Ces dérives ne remettent pas en cause le dévouement de la plupart mais sont le fruit d'un manque d'appui patent des services publics.

L'état sanitaire des gens pauvres des campagnes est terrible : infirmités aggravées par manques de soins, plaies surinfectées, dents pourries à quarante ans sont monnaie courante. Des épidémies de choléra, de polyo, de méningite, voire de peste (1994) apparaissent sporadiquement ici ou là. Depuis 2004, l'Inde a ravi à l'Afrique du Sud le triste record mondial de personnes atteintes du sida ou porteurs du virus HIV (5,3 millions environ). En ville, les médecins sont plus nombreux; les clientèles privées sont globalement plus solvables. Mais la sédentarité, les conditions de travail de plus en plus stressantes, les transports en commun mal commodes, inconfortables et surchargés, l'abus du tabac, l'excès de consommation de féculents et de sucres, engendrent des maux qui frappent massivement une population psychologiquement non préparée, sous-informée donc plutôt inconsciente des risques : obésité (l'augmentation de personnes obèses, en quelques années, est fulgurante), hypertension, diabète (l'Inde est le second pays pour le nombre de diabétiques, soit 77 millions) sont devenus, en quelques années, des fléaux majeurs.

Le tourisme

Si l'on visite l'Inde en "voyage de groupe" on pourrait s'imaginer que ce pays est une destination majeure du tourisme : vaste contrée à la civilisation prestigieuse et évoluée, l'Inde dispose en effet d'un énorme potentiel. Potentiel géographique tout d'abord car, depuis les hautes montagnes himalayennes du nord jusqu'aux rizières et backwaters du Kerala, en passant par les étendues arides ponctuées de forts saisissants au Rajasthan, la palette des paysages est incroyablement diverse. Potentiel culturel ensuite, car sa longue histoire a fait de l'Inde un creuset de cultures variées, souvent antagonistes, et qui se sont fondues ici en une mosaïque unique au monde : l'univers hindou des grands temples du Sud n'a rien à voir avec l'architecture Moghole du Nord et elle-même se distingue sensiblement de la culture Rajpoute du Rajasthan, pour ne donner que ces exemples.

Le touriste de groupe, ravi, aura tendance, en une douzaine de jours de voyage au Rajasthan (80 % des touristes étrangers ne vont que dans ce seul Etat, et encore, dans quelques villes "phares" seulement), à croire que l'Inde est parsemée d'anciens palais de Mahârâja reconvertis en hôtels de luxe au charme quelque peu désuet et passablement rococo.

Bien entendu, cette vision exotique ne correspond nullement à la réalité de l'industrie du tourisme en Inde. Un premier chiffre, déjà, porte à reflexion : dix millions de visiteurs étrangers en 2017. Alors que 22,5 millions d'Indiens se rendent à l'étranger... Les investisseurs privilégient le créneau haut de gamme (4 ou 5 *) mais le service offert, ainsi que la maintenance, ne sont pas toujours à la hauteur des prétentions. Des chiffres parus dans la presse indiquent qu'à Delhi, les prix des hôtels de catégorie supérieure ont augmenté de 60 à 80% en trois ans sans que l'inflation (4-6 % par an, maintenant), ni les qualifications ne justifient un tel bond. Les opérateurs touristiques considèrent désormais l'Inde comme une destination plutôt chère par rapport aux autres pays d'Asie du sud-est. La volonté politique affichée demeure sans grand contenu. Hormis la rareté des espaces constructibles libres dans le centre des villes et, par conséquent, un marché immobilier coûteux, la bureaucratie décourage les investisseurs : il ne faut pas moins de 38 autorisations différentes avant de pouvoir construire puis mettre en service un hôtel. Temps perdu, qui se compte en années, dépenses de dessous de table, sont autant d'obstacles.

La situation n'est pas meilleure pour les hôtels de moyenne gamme qui draînent l'énorme marché de la clientèle nationale. Les Indiens voyagent énormément dans leur pays. Que ce soit pour se rendre dans des lieux religieux en pèlerinage, pour aller visiter de la famille à l'occasion d'un évènement, naissance, mariage, décès, ou autre, pour vivre une période de lune de miel dans un beau lieu touristique, des millions de personnes transitent chaque jour dans les trains ou les bus. Mais les petits hôtels trop souvent vétustes, à l'entretien inexistant, à la propreté douteuse et au personnel fruste, sont infiniment plus nombreux que les établissements récents, tenus par des managers vigilants et exigeants envers leur personnel sur la qualité, la propreté et le service...

Il n'ya aucune fatalité dans ce constat, mais seulement l'expression d'une inertie trop souvent répandue.

Politique et développement

L'Inde s'enorgueillit, non sans raison, d'être "la plus grande démocratie" du monde. Plus d'un Indien s'est bien amusé des péripéties ridicules qui ont marqué l'élection présidentielle aux Etats Unis en l'an 2000, avec les machines vétustes et non fiables utilisées pour le décompte dans certains Etats, d'après ce que la presse a expliqué au bon peuple.

Ici, le taux de participation électorale est élevé, sans atteindre les scores confiscatoires des régimes soit disant démocratiques des régimes autoritaires. Le vote est libre, quoique l'on reviendra sur le contenu de cette notion. Les femmes votent depuis 1950 (souvenons-nous, ce ne fut qu'en 1944 que les femmes obtinrent le droit de vote en France), ainsi que les Intouchables, la lie de la société, dépourvue de tous droits, paraît-il, selon les intellectuels progressistes, indiens ou non. Il est vrai que ce droit leur est trop souvent dénié par certaines franges intolérantes et fondamentalistes des castes supérieures.

Le système politique fédéral accorde aux Etats de larges pouvoirs, très supérieurs en tout cas à ceux des instances régionales ou préfectorales de la République Française, malgré une décentralisation présumée bien avancée.

Le verdict des urnes permet l'alternance politique. Ainsi, en 2004, la coalition de droite dirigée par le BJP (Bharatiya Janatha Party) a-t-elle cédé la place au Congress (centre gauche) qui a du, pour former le gouvernement, constituer une alliance avec divers petits partis de gauche parmi lesquels on note les communistes marxistes. Le BJP et ses alliés auraient perdu le pouvoir pour avoir mené une politique de libéralisation économique trop hâtive, estimée dommageable pour les classes moyennes-pauvres de la population. Cependant, le budget 2005 présenté par le Ministre des Finances en février, aurait plutôt tendance à montrer que le nouveau gouvernement entend continuer et même accélérer la libéralisation économique, sans pour autant montrer beaucoup d'attention au programme social sur lequel il s'était mis d'accord avec ses partenaires de gauche, dans le but évident de revenir au pouvoir. Puis en 2014, le BJP est revenu au pouvoir avec Narendra Modi comme Premier Ministre.

Bref, sans qu'il soit question pour nous de prendre parti, il apparaît, à la simple lecture des journaux et revues anglophones locales, que le processus démocratique est ouvert, ce qui, me semble-t-il, est la marque d'un pays moderne, dans le sens où les occidentaux l'entendent. Cette situation résulte, au moins partiellement, de la conjonction de plusieurs facteurs favorables. Déjà, de par leur culture, les Indiens sont portés aux débats d'idées, à telle enseigne que l'on est plus souvent porté à tracer des plans mirifiques sur ce que l'on va faire qu'à agir réellement.

Une petite digression amusante va nous permettre d'illustrer ce propos. Voici trois exemples déjà anciens (mars 2005) mais néanmoins instructifs, lus dans la presse :

 Le magnifique lac Pichola d'Udaipur (Rajasthan) est vide; on n'a pas vu cela depuis 1972. La cause ? Une série d'années de très faible mousson. Un agent de voyage d'Udaipur me dit récemment : "Ce n'est pas grave. L'an prochain, on aura autant d'eau que nécessaire car on va dériver l'eau d'un barrage au sud d'Udaipur". Quelques jours après, je lis dans la presse que l'on étudie actuellement la possibilité de relever de trois mètres la hauteur d'un barrage situé à une centaine de km d'Udaipur et que le supplément de réserve serait détourné par conduite vers Udaipur. Dans combien d'années, cinq ou dix au minimum !!
 Noida est une grande banlieue de Delhi. Un "projet" d'immeuble de 135 étages, battant la hauteur de la tour Taipei 101 (508 m) à Taiwan serait à l'étude !! En fait, évidemment, seul un fada a lancé l'idée et tout le monde s'est jeté dessus sans réfléchir... Il suffit de voir les bâtiments les plus hauts de l'Inde à Bombay (le Lodha The Park 1, 78 étages, 268 mètres, est en construction en 2020). On est loin des records mondiaux....
 Lors du désastreux tsunami du 26 Décembre 2004, les Iles (indiennes ) d'Andaman, proches de l'épicentre ont été frappées en premier. Personne n'a réagi et deux heures plus tard, le tsunami arrivait sur les côtes du Tamil Nadu, tuant quelque 8000 personnes. Inertie administrative, absence d'initiative, manque de personnel, etc. tout s'est combiné pour le résultat que l'on sait. Moins de deux mois plus tard, les Indiens clament qu'ils vont mettre en place un réseau de surveillance et d'alerte utilisant le dernier cri de la technique, équipement de communication satellitaire, cartes numérisées, ordinateurs portables en réseau, vidéo-conférences instantanées pour les prises de décision et transmission aux cellules de veille décentralisées sur les côtes menacées. Et là, ils l'ont fait....

La colonisation britannique, si elle a largement pillé et appauvri ce pays en exploitant ses richesses naturelles, a eu au moins le mérite d'introduire des idées occidentales modernes parmi les classes qui accédaient à l'éducation (pour mieux servir leurs "Maîtres", comme on disait à l'époque). Les Indiens qui allaient faire leurs études en Europe ont d'ailleurs, pour leur plus grand bénéfice, été au contact des idées réformistes des 19 et 20ème siècles. L'émergence d'une conscience nationale ne date guère que du 19ème siècle et doit beaucoup aux Anglais, même si cette assertion ne fait pas plaisir à certains historiens indiens qui font remonter l'idée d'"unité nationale" aux temps beaucoup plus anciens des grands Empires, comme les Maurya (empereur Ashoka, 3ème siècle avant notre ère), les Gupta (4ème-7ème siècle de notre ère) ou même les Moghols, surtout avec Aqbar (17ème siècle), oubliant que ce dernier, comme les prédécesseurs de sa dynastie, n'était pas un autochtone et ne représentait que la minorité musulmane au pouvoir. Ces mêmes historiens sollicitent également le passé en faisant du Panchayat (l'autorité administrative traditionnelle au niveau d'un village) la structure élémentaire démocratique de la société. Il n'en est évidemment rien puisque les membres cooptés des Panchayat sont et ont toujours été des notables, par exemple des propriétaires terriens. La démocratie a adopté les Panchayat mais ne leur doit pas grand chose.

Le vote démocratique reste largement orienté par les groupes d'intérêts qui se situent au niveau des castes ou des sous-castes. Des pans entiers d'électeurs constituent, pour les hommes politiques qui manient les promesses sans nuances ni scrupules, autant de "banques de vote". L'appartenance à une caste X d'un homme politique conditionne largement le vote des gens qui font partie de la même caste. Il est troublant de constater à quel point beaucoup d'indiens sont désillusionnés par leurs hommes politiques qu'ils accusent de manière systématique de corruption, d'incompétence, de népotisme, voire d'activités criminelles et mafieuses. Leur opinion n'est sans doute pas toujours exagérée, à lire les informations codées que délivre la presse, malgré l'(auto)censure qu'elle s'impose.

Les "libertés" démocratiques sont d'ailleurs souvent battues en brèche par des abus bureaucratiques trop souvent impunis : les plaintes judiciaires inabouties sont légion, les procès qui durent des années se comptent par dizaines de milliers, les gens battus à mort dans des postes de police ne sont pas des exceptions, la drogue soit-disant illégale est en vente libre dans des villes que la décence nous interdit de citer mais que tout le monde connaît, le boom immobilier actuel, sans précédent, avec des plus-values de 30 à 60% sur un an, doit beaucoup au recyclage d'argent illicite. On estimait en 2018 à US$1500 milliards, les sommes placées par des Indiens dans des paradis fiscaux. Des économistes évaluent que 40 à 60% des montants de transactions immobilières sont non déclarés et que ce pourcentage reflète l'économie parallèle du pays. Pas étonnant que l'introduction de la TVA locale (GST) n'a pu être effective qu'en 2017, après vingt ans d'obstruction par de puissants groupes de pression. Le précédent gouvernement avait déjà tenté d'introduire la TVA et avait dû reculer devant le tollé que ce projet soulevait.

Et pourtant, l'administration indienne est, comme tous les acteurs économiques, empêtrée dans un système aussi compliqué qu'absurde de multiples taxes hétéroclites selon les Etats, le plus archaïque étant peut-être l'octroi que les marchandises payent pour passer d'un Etat à un autre, occasionnant de longues files de camions et des heures perdues en attente.

 

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