Chapitre Devî

Autres Déesses Shivaïtes

 

Les Déesses terribles

D'autres Déesses Shivaïtes d'apparence effrayante sont vénérées par les gens pour diverses raisons, en général un avantage matériel. Beaucoup sont en réalité des Déesses autochtones de villages qui furent, au cours des siècles, réincorporées dans les cultes hindous des brahmanes.

Bhûtamâtâ

Bhûtamâtâ, la Mère des lutins, est assise sous un arbre pippal (ficus religiosa). Sa suite comporte de nombreux démons, lutins et demi-dieux. Dans ses deux mains, elle tient un Lingam (parfois une épée) et un bouclier. Les cheveux en désordre, elle chevauche un lion.

Dhûmrâvatî

Dhûmrâvatî ou Dhûmra-Kâlî au corps rouge porte des vêtements rouges. Ses anneaux d'oreille sont semblables à des trompes d'éléphant et ses crocs terrifiants. Un collier de crânes autour du cou, environnée de démons, elle tient dans ses mains une épée nue et un crâne humain.

Jyêshthâ

Jyêshthâ ou Jyêshthâ-Lakshmî, ainsi qu'on l'appelle parfois car elle serait la soeur aînée de Lakshmî, la gracieuse Déesse de l'Abondance), est une Déesse noire aux lèvres et aux seins pendants, au nez rabougri et au ventre rebondi. Elle se délecte de sang. Dans une main, elle tient un lotus de fer; l'autre main repose sur le siège sur lesquel elle est assise à l'occidentale. Quelquefois, on la représente portant un lotus dans chaque main. Sa bannière est décorée de deux corneilles. A sa droite est assis un personnage à tête de taureau que l'on dit être son fils; il porte un bâton dans la main droite et pointe vers l'avant l'un des doigts de sa main gauche. Sur la gauche de Jyêshthâ, est assise sa fille, une belle femme. Lorsqu'elle est de couleur rouge, Jyêshthâ reçoit le nom de Rakta-Jyêshthâ. Cette Déesse apporte la malchance.

Un autre nom de Jyêshthâ est Alakshmî. On dit qu'elle réside dans les arbres pippal (Ficus religiosa). C'est pourquoi cet arbre doit être évité, sauf les samedis, lorsque Lakshmî vient visiter sa soeur, rendant ainsi l'arbre bénéfique. De nos jours, cette déesse, largement vénérée au Tamil Nadu, n'est plus guère honorée car elle n'apporte que déboires et pauvreté.

 

Kâlarâtrî

Kâlarâtrî, déjà citée comme l'une des neuf Durgâ, a une tresse unique de cheveux et des fleurs en ornements d'oreille; nue, badigeonnée d'huile, elle a des lèvres pendantes et chevauche un âne. Dans sa main gauche, elle tient une tête humaine fraichement coupée et elle porte un anneau métallique à la cheville gauche.

Prânashakti

Prânashakti, comme Vajraprastârinî, est assise sur un lotus surgissant d'un bateau de sang, sur un océan de sang; parmi les armes qu'elle brandit, on cite un crâne humain plein de sang.

Pratyangirâ

Pratyangirâ, aux cheveux hérissés sur la tête, a le visage effrayant d'un lion. Dans ses mains, elle tient un crâne, un trident, une timbale et un noeud coulant. Assise sur un lion, elle détruit, de son seul pouvoir, tous les ennemis. On la voit deux représentations à Tiruchchengodu et Tiruppalâtturai (sans monture).

Satruvidhvamsinî

Satruvidhvamsinî, la "destructrice des ennemis", a également trois visages, des yeux rouges, des crocs menaçants et un ventre ample. Nue, elle est aussi cruelle que les flammes du feu.

Shivadûtî

Sivadûtî a une apparence abattue, un corps émacié et le visage d'un chacal. Elle porte une guirlande de crânes humains et est environnée de serpents. Elle peut avoir quatre mains portant un vase empli de sang, une épée, un trident, un pot plein de chair, ou plus.

Sîtaladêvî

Sîtaladêvî (appelée encore Mâriyamma), la déesse de la variole, chevauche un âne. Nue, un van sur la tête, elle tient un balai et un pot à eau dans les mains.

Srîvidyâdêvî

Srîvidyâdêvî a des crocs menaçants qui sortent de sa bouche; assise sur le nid d'un serpent, elle porte des colliers d'os humains.

Sûlinî

Sûlinî, dotée de huit bras, est aussi une Déesse qui inspire la peur. Elle brandit un trident, chevauche un lion et son escorte de quatre jeunes filles non mariées est équipée d'épées et de boucliers.

Surâ

Surâ, le vin personnifié, est représentée comme une déesse terrible à dix huit bras et trois yeux. De haute taille, elle est aussi dangereuse que le feu destructeur. Elle fait peur aux démons, mais est une bénédiction pour les anges.

Cette déesse tire son nom du mot surâ, sorte de bière utilisée pendant la période védique et ayant à peu près les mêmes usages que le Soma, tout en étant de moindre qualité. On dit que cette divinité serait née lors du Barratage de la Mer de Lait, au Commencement des Mondes.

Surapriyâ

Surapriyâ est assise en méditation, jambes croisées. Un groupe de Shakti, les Ashtângayoginî, l'accompagne, ainsi que deux déités, Pûrnâsvâ et Pushkalâ. Un gros homme au ventre pendant et au visage souriant, nommé Madhukara, se tient à la gauche de la Déesse. Un pot de vin et un bâton sont placés tout près. Cette déesse se rencontre dans les maisons des prostituées et dans des villages sous plusieurs autres noms comme Dêvabhavî;, Dêvabhavî, Jnânabhavî, ou Gîtabhavî.

Svasthâvêsinî

Svasthâvêsinî, de couleur écarlate, inspire la terreur à ceux qui ont la malchance de la voir. Séjournant au milieu de cadavres, elle a trois visages, des yeux sombres, un corps maigre et trois tresses d'épais cheveux noirs; ses deux mains tiennent une timbale sonore et le trident. Sa nature destructrice est celle du feu de forêt.

Trikantakîdêvî

Trikantakîdêvî a le corps noir au-dessous du nombril, rouge entre le nombril et le cou, et blanc au-dessus du cou. Les terribles crocs qui dépassent des bouches de ses quatre visages sont si longs et courbes qu'ils transpercent son ventre. Dans ses quatre mains, elle porte deux lampes, une conque et un disque.

Tripurâ-Bhairavî

Tripurâ-Bhairavî a quatre bras, porte une guirlande de têtes et ses seins sont baignés de sang.

Tvaritâ

Tvaritâ a deux mains; décorée de plumes de paon sur la tête, elle porte un vêtement de feuilles, une guirlande de graines particulières et un bijou fait de huit serpents.

Ugra-Târâ

Ugra-Târâ, Déesse qui préside à de nombreuses maladies, se tient debout dans la posture alidhâ; elle transporte un cadavre sur sa tête et pousse des cris abominables. De petite taille, elle a des tresses alternativement noires et jaunes et elle est environnée de serpents agressifs. Dans un crâne humain, elle porte toutes les maladies des trois mondes qu'elle veut ainsi détruire.

Vajrapratârinî

Vajrapratârinî est assise sur un lotus dans un bateau de sang voguant sur une mer de sang. Les membres de son corps, ainsi que sa tête, baignent aussi dans le sang.

Déesses bienveillantes

En constraste avec leurs abominables consoeurs, les Déesses terribles, les Déesses bienveillantes sont dépeintes comme d'une grande beauté.

Annapûrnâ

Annapûrnâ a deux (parfois quatre) bras. D'une main, elle tient un vase précieux contenant de la nourriture et de l'autre une cuillère qui lui sert à distribuer (à ses dévots) cette nourriture. Lorsqu'elle a deux bras supplémentaires, elle tient un noeud coulant et un aiguillon à éléphant dans les mains supérieures, et montre l'abhaya et le varada mudra de ses mains inférieures. Un autre nom, local, d'Annapûrnâ, est Vishâlâkshî.

Bâlâ-Shakti

Bâlâ-Shakti, portant un livre, un mala (chapelet), un aiguillon à éléphant et un noeud coulant est la Déesse qui gouverne les six chakra. Mais, le plus souvent, Bâlâ-Shakti est représentée par un yantra particulier.

Bâlâ-Tripurasundarî

Bâlâ-Tripurasundarî est d'un éclat éblouissant, comme un millier de soleils projettant d'un coup toute leur lumière.

Kurukulla

Kurukulla est aussi une Déesse des navires. Totalement ivre de vin, se tenant sur un bateau fait de joyaux, elle tient dans ses mains une pagaie faite de pierres précieuses.

Laghusyâmalâ

Laghusyâmalâ, une jeune demoiselle encore adolescente, joue de la vînâ. Près d'elle, l'on voit une jarre de vin et ses yeux trahissent son ivresse. On dit que cette déesse mineure est proche de Matangî, l'une des Mahâvidyâ.

Râjamâtangî

Râjamâtangî est la déesse de la connaissance, du talent et de l'excellence du savoir. Elle symbolise le pouvoir qui a pénétré la pensée. Elle se rapporte donc aussi à notre capacité à écouter et à à comprendre. Déesse du mot parlé, reflet de notre compréhension intérieure, elle est donc la déesse de toutes les formes d'art, de musique et de danse.

Râjamâtangî ressemble à Sarasvatî, Shakti de Brahmâ, le créateur de l'Univers manifesté. Comme Sarasvatî, elle joue de la vînâ; le nuage de pluie et le tonnerre la symbolisent, ainsi que les rivières qui se versent dans l'océan. Elle est la vibration, Nada, qui s'écoule par les canaux subtils, les nadî, à travers tout notre corps.

Cependant, Râjamâtangî et Sarasvatî sont quelque peu différentes. Râjamâtangî est la forme de Sarasvatî qui se rapporte à notre connaissance intérieure alors que Sarasvatî se limite à la connaissance ordinaire, à l'art et à la culture. Sombre, mystique, extatique ou sauvage, Râjamâtangî règne sur l'extraordinaire, sur tout ce qui va au-delà du conventionnel. Râjamâtangî, c'est le proscrit, l'artiste qui viole les règles de la société alors que Sarasvatî préside au savoir et à la vertu du Brahmane ou de l'érudit. Dans ce sens, Râjamâtangî allie Sarasvatî avec le pouvoir de transformation de Kâlî.

Ce caractère non-conventionnel se retrouve dans le fait que Râjamâtangî est aussi le pouvoir de transmission des enseignements (forcément dérangeants) du Guru. En l'honorant, on honore le Guru.

Dans ce rôle de transmission des choses occultes, elle possède le pouvoir de tous les mantras, sait comment les prononcer pour qu'ils soient efficaces. C'est pourquoi on l'appelle aussi Mantrinî. Elle nous permet donc de communiquer avec tous les dieux par leur truchement.

De couleur vert émeraude sombre, la couleur de la connaissance profonde, Râjamâtangî arbore divers emblèmes, les mêmes que ceux de Sundarî, parmi lesquels on reconnaît un perroquet qui figure le pouvoir de la parole, et elle est assise sur un trône fait de pierres précieuses.

Saubhâgyabhuvanêshvarî

Saubhâgyabhuvanêshvarî, d'une belle teinte rouge, porte une couronne de joyaux; elle a un visage souriant et des seins bien ronds. Dans une main, elle tient un vase plein de pierres précieuses et un lotus rouge dans l'autre. Son pied droit est posé sur un trésor de gemmes.

Tulajâ-Bhavânî

Tulajâ-Bhavânî, tout comme Annapûrnâ, tient dans une main un vase de nourriture délicieuse et dans l'autre, une cuillère pour la distribuer.

Vârunî

Vârunî, encore nommée Vârunanî, Sudhâmâlinî ou Amritêshvarî, la Déesse des navires, est assise sur un bateau paré de joyaux et entouré d'une armée de Shakti. Brillante comme le soleil levant, elle rend jaloux les Trois Mondes par son éclat incomparable. Elle décore ses tresses de cheveux de fleurs de l'arbre pârijâta et, dans ses mains, elle porte un flacon de vin, un lotus et un morceau de chair cuite.

Parèdre de Varuna, le dieu des Océans, c'est en effet une divinité qui aime le vin et l'ivresse. Elle représente aussi, curieusement, le nectar purifiant de l'Immortalité (Amrita). Elle est agent de la Sagesse Transcendante et, en buvant préalablement de l'alcool, l'initié se prépare à méditer sur Elle.

Vindhyavâsinî

Vindhyavâsinî, une forme de Durgâ, porte aussi le nom de Mûkambikâ. On la dit assise sur un lotus doré; elle a quatre bras et elle brille comme le tonnerre. Près d'elle se tient un lion, son véhicule.

Vindhyavâsinî Devî possède un temple qui lui est dédié à Vindhyachal (8 km de Mirzapur, Uttar Pradesh), sur les rives du Ganges. Les fidèles qui y affluent considèrent ce lieu comme l'un des Shakti Peetha. Littéralement, le nom de Vindhyavâsinî signifie "la Déesse qui réside dans les Vindhyas", une chaîne de montagnes gréseuses et basaltiques de 460 à 1100 m d'altitude en Inde centrale, séparant la plaine gangétique du plateau du Dekkan.

 

Les plus fameuses de ces Déesses Shivaïtes bienveillantes sont quand même Lalitâ, Tripura-Sundarî (déjà citée) et Râjarâjeshvarî. Toutes sont d'une parfaite beauté, toutes brillent d'un éclat extraordinaire. Elles ont quatre bras et portent les emblèmes suivants : le noeud coulant (ou un fruit), l'aiguillon à éléphant (ou une conque), un arc fait de canne à sucre (ou un lotus). Leur culte est directement lié aux représentations graphiques des chakra, sur lesquelles on jette de la poudre de kunkum (curcuma) en récitant longuement les noms de Lalitâ (1000, 300, ou 108). Les Déesses sont censées se tenir sur un chakra placé au sol.

Lalitâ commande à un grand nombre de déesses mineures qui, comme des fées, ont de multiples pouvoirs; plus petites que des atomes, elles peuvent entrer partout. Coiffées de jolies nattes, un tilak de kunkum sur le front, précises comme le feu, elles portent des arcs, des flèches, des épées et des boucliers de flammes. Elles personnifient presque toutes les activités bénéfiques qui se déroulent dans l'Univers et, en permanence, elles luttent contre le Mal. C'est avec leur aide que Lalitâ a vaincu et exterminé d'innombrables démons tels que Bhandâsura, Sumbha, Nisumbha, Chanda-Munda et Mahishâsura. Tous ces démons sont, bien sûr, les désirs qui rongent l'homme.

 

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