Beau Ganesh en bois d'Orissa Le phonème sacré OM

Le Symbolisme de Ganesh







Plan du chapitre

Signification de Ganapati
L'éléphant et l'homme
Tu es Cela
Celui qui enlève les Obstacles

Les qualités attribuées à Ganesh, telles que la capacité à écarter les obstacles, sont celles de l’éléphant. C’est en effet le seul animal de la création capable de balayer de sa masse énorme les obstacles qui entravent sa marche et, brisant à l’aide de sa trompe branches et racines ou déracinant les arbres, se fraie un chemin au creux des fourrés les plus épais, comme dans les forêts les plus impénétrables. L’éléphant est aussi reconnu par les hommes comme un animal pourvu d’intelligence, de sagesse et d’une mémoire prodigieuse.

La possession d’une tête d’éléphant a fait penser que Ganesh pourrait être une divinité antique d’origine dravidienne, probablement de nature solaire, vénérée par les populations aborigènes de l’Inde, ou bien encore une divinité totémique tardivement incorporée au Shivaïsme. Qu’il soit issu d’un fétichisme totémique ne serait d’ailleurs pas étonnant : les effigies primitives offertes à l’adoration des tribus affectent généralement des formes animales au nombre desquelles l’éléphant, admiré pour sa force et son intelligence.

L’origine modeste (tribale et totémique) de Ganesh se trouve peut-être confirmée par un vers attribué au législateur Manu (d’authenticité discutée) selon lequel les dieux seraient "affectés" aux quatre grandes castes : Shiva aux brâhmanes (les prêtres, intercesseurs des hommes auprès des dieux), Vishnu aux kshatriyas (les guerriers, les gouvernants, ceux qui ont le pouvoir temporel), Brahmâ aux vaishyas (les commerçants, ceux qui ont le pouvoir économique) et enfin Ganesh aux sudras (les agriculteurs, travailleurs qui n’ont que leurs bras).

La forme mi-humaine mi-animale de Ganesh est plutôt rare dans le panthéon des dieux de l’Inde. Certes, on connaît d’autres formes mixtes comme Varâha, l’avatar à tête de sanglier de Vishnu, Narasimha, un autre avatar de Vishnu à tête de lion, Hayagriva à tête de cheval, Vajravarahi à tête de laie, etc., ces deux derniers appartenant toutefois à la floraison exubérante du bouddhisme tibétain.

Mais ces formes divines à tête animale ne sont que des variations à partir d’une divinité principale; tandis que Ganesh ne possède pas d’autre représentation que celle avec une tête d’éléphant. Cette constance et cette singularité méritent d’être soulignés. Ils donnent quelque consistance à deux interprétations habituelles :

 Ganesh est un dieu rural, protecteur des moissons; subjuguant le rat qui lui est tout dévoué, il est censé l’empêcher de se multiplier à l’excès et de dévaster les récoltes. Pour maîtriser ce rat envahissant et proliférant, il faut vraiment un Dieu puissant, dont la symbolique de représentation suggère la force : quoi de mieux qu’un éléphant dont la patte peut écraser plusieurs rats d’un coup ?
 Ganesh est un Dieu protecteur du foyer; en tant que tel, on le rencontre d’ailleurs un peu partout. Une fois de plus, pour s’assurer d’une protection, mieux vaut un symbole de puissance paisible et bienveillante. On notera que Ganesh est souvent figuré avec une expression du regard très humaine, douce, pleine de malice et de bonté.

On pourrait, en revanche, se demander si, sous sa forme de Nritya Ganesh (Ganesh dansant), Ganesh n’est pas vraiment incongru; à part les animaux de cirque, et encore avec un résultat douteux, on ne voit pas comment ces postures sont possibles. Alors, pourquoi Ganesh danse-t-il ? On émettra quelques pistes de réflexion. Ganesh danse, dit-on habituellement, parce que c’est le chef des Gana, troupe céleste des serviteurs de Shiva et qu’il est "dans sa nature de Gana" de danser. Un peu court...Peut-être tout simplement danse-t-il parce que son illustre père est le Shiva Nâtarâja ou le Shiva Tandava, tout à tour créateur et destructeur ? Et que ce flot de création-destruction, cycle ininterrompu de la manifestation sans but, simple jeu (lîla) des dieux, le réjouit et que, comme tout enfant un peu espiègle, il s’amuse à faire comme son papa. Bien sûr, il est moins svelte, ce qui donne habituellement une certaine lourdeur pataude à son jeu (un auteur "ose" même écrire qu’il s’agit d’un "trépignement" plutôt que d’une danse...).

Pour A. Daniélou, Ganapati ou Ganesha est le Seigneur des Catégories, le Principe du Nombre. Tout ce que nos sens peuvent percevoir, ou notre esprit saisir peut être classé en des genres ou des catégories. Il est donc logique de considérer la catégorie comme un aspect, un principe fondamental de l’existence.

"Tout ce qui peut être compté ou classifié forme une catégorie (Gana)...le mot catégorie représente n’importe quelle collection de choses (Bhagavat Tattva). Le principe de toutes les classifications qui permettent d‘établir des rapports entre les différents ordres de choses, entre le macrocosme (brahmanda) et le microcosme (sukshmanda), est appelé le Seigneur des Catégories (Ganapati)".

Ganapati est le régent des catégories (Bhagavat Tattva). Il peut être identifié à la divinité dans sa manifestation perceptible.

"Je te salue, Seigneur des Catégories. Tu es la seule forme visible du Principe. Tu es le seul créateur, tu es le seul soutien, tu es le seul destructeur, tu es, sans erreur possible, le seul principe de toutes choses, le seul Soi véritable (Ganapati Upanishad, 2) ".

Ganapati est parfois identifié au grand-maître, Brîhaspati, le précepteur des Dieux, il est mentionné déjà dans le Rig Veda :
"Seigneur des Catégories, tu es le maître. Tu es le voyant des voyants. Ta richesse est sans égale. Tu es le Roi des Ancêtres. Ecoute et prends ta place [parmi nous] apportant avec toi tous les plaisirs" (Rig Veda, 2, 31, 1.). Cette identification a cependant été fortement contestée.

Pour les fidèles de la secte des Gânapatîya, Ganesh représente la divinité suprême. Il est l’un des cinq dieux du culte smârta. Plusieurs Purâna le placent au-dessus de la Trinité (Trimûrti).

Le Seigneur des Catégories est le patron des lettres et celui des écoles. Il est le scribe qui transcrivit les livres saints. "C’est toi, Chef des Catégories , qui transcrivis cet ouvrage" (Mahâbhârata, 1, 1, 77.). Les brâhmanes le reconnaissent comme dieu du savoir. Il est vénéré au début de chaque entreprise. Son image se trouve à l’entrée de toutes les maisons, de tous les sanctuaires.

Signification de Ganesh et de Ganapati

Le mot Ganesh vient de Gana qui désigne les petits génies (Gana), serviteurs de Shiva, dont les hordes désordonnées sèmeraient une joyeuse pagaille si l'autorité de Ganesh ne les disciplinait, et Isha, Maître, Seigneur (mot similaire à Ishvara).

Quant à Ganapati, c'est l'un des noms les plus usuels de Ganesh. Le mot Ganapati vient de Gana également et de pati, qui veut aussi dire maître (comme dans Pashupati un nom antique de Shiva qui signifie Maître des troupeaux (Pashu, qui ici, se rapporte aux hommes).

Mais Ganapati représente aussi l’un des concepts de base du symbolisme mythologique Hindou, l’identité du macrocosme et du microcosme ou, en termes religieux, la notion que l’homme est l’image du Divin. Les notions de la divinité de l’homme et de l’immanence du divin doivent être présentes dans notre esprit chaque fois que nous entreprenons quelque chose. C’est pourquoi Ganesh est salué le premier.

L’identité du macrocosme et du microcosme peut être observée dans la permanence de certaines relations qui forment le substrat de tous les aspects de l’Univers perceptible. Ces relations peuvent être exprimées par des nombres. C’est pourquoi le nombre paraît être l’élément commun de toutes les formes, l’élément qui unifie toutes les substances. Le principe du nombre qui s’exprime dans ce qui est dénombrable, les catégories, est antérieur, même à l’intellect qui fonctionne par catégories. "Le Seigneur des Catégories règne sur l’intellect universel, le Principe Transcendant (Mahat Tattva), ainsi que sur les principes des éléments (tattvas) qui en sont dérivés" (extrait de Bhagavat Tattva). C'est Ganapati que l'on désigne ici comme le Seigneur des Catégories.

L’éléphant et l’homme

Ganapati est représenté comme un être d'apparence humaine, mais avec une tête d’éléphant. Cet aspect double symbolise l’unité du petit être, le microcosme, c’est à dire l’homme, et du grand être, le macrocosme, qui est l’éléphant. Le mot homme (nara) est défini comme signifiant la "divinité qualifiée". Le microcosme est la progéniture de l’Etre Cosmique. "C’est pourquoi les êtres nés de l’homme universel sont connus des sages sous le nom d’hommes" ( Mahâbhârata, 5, 70, 10.).

Le mot éléphant (gaja) a comme sens symbolique "l’origine et la fin". Le stade atteint par le yogi dans son ultime expérience d’identification (samâdhi) est appelée la fin (ga); et le principe appelé (ja) est le Verbe, le principe duquel la syllabe-de-soumission AUM est issue par un processus de réflexion multiple. L’éléphant est donc le symbole du stade "d’où commence l’existence" et "d’où naît la syllabe AUM, A.U.M. [la loi de l’Univers], le Veda, et du Veda le monde".

La partie homme de Ganapati étant le principe manifesté, est inférieure au non-manifesté qui est l’éléphant. La partie d’éléphant est donc la tête.

Tu es Cela

Selon la logique de notre monde, un homme ne peut pas être un éléphant; pourtant, du point de vue de la logique divine, il n’y a pas là d’impossibilité, car la divinité est ce en quoi les contraires coexistent. Ceci devient évident lorsque nous suivons les symboles jusqu’à leur sens essentiel. La formule sacrée qui représente sous une forme verbale le principe appelé Ganapati est "Tat tvam asi", "Tu es Cela". "Tu (toi, l’être vivant) es la forme visible de Cela (l’Essence divine)" ( Ganapati Upanishad; 2.).

Le pronom neutre tat (cela) représente "le principe transcendant et sans limites qui est vérité et connaissance" (Taittirîya âranyaka, 8, 1, 1) au-delà de tous les attributs. Le pronom tvam (tu) représente "le principe qualifié dont la forme est l’Univers". Le "toi" et le "cela" sont soudés en une entité indivisible par le troisième asi (es) c’est à dire l’existence.

L’existence humaine est la coordination de l’absolu et du relatif, du "cela" et de "toi". La connaissance véritable est la réalisation de cette relation.

L’image de Ganapati nous rappelle incessamment la réalité d’une identité apparemment impossible. L’homme est réellement l’image du Cosmos. Toutes les réalisations lui sont possibles sans sortir de lui-même. En étudiant ses impulsions intérieures et sa structure interne, il peut comprendre la nature de l’Univers.

Celui qui enlève les obstacles

Le Seigneur des catégories est le destructeur des obstacles. "Je salue le fils de Shiva qui personnifie le Dispensateur de Dons et le Destructeur des Obstacles". (Ganapati Upanishad, 15). Expliquant ce passage, Shankarâcharya dit : "C’est lui qui en donnant l’immortalité fait disparaître la crainte inhérente au temps et à la durée".

Dans le Skanda et le Mudgala Purâna se trouvent l’histoire du prince Agréable-à-Tous (Abhinandana) qui offrit de grands sacrifices aux dieux mais omit d’inviter Indra, le Roi du Ciel. Quand il entendit cela, Indra se mit en colère. Il fit venir le Temps, le Destructeur, et lui demanda de mettre fin au sacrifice. Le Temps prit alors la forme du génie Obstruction (Vighnâsura) et tua le prince Agréable-à-Tous. Ce génie erra par la suite par le monde, parfois visible, parfois invisible, fomentant le désordre dans tous les rites. Ne sachant que faire, Vasishtha et les autres Sages allèrent trouver le créateur Brahmâ pour demander sa protection. Brahmâ leur suggéra de prier le Seigneur des Catégories qui est au-delà du Temps que lui seul avait le pouvoir de dominer.

Vaincu par Ganesha, le génie Obstruction se mit sous sa protection et le servir fidèlement. C’est pourquoi Ganesh est aussi appelé Seigneur d’Obstruction (Vighnarâja). Si on entreprend quoi que ce soit sans prier et vénérer Ganesh, des obstacles sont certains d’apparaître. C’est pourquoi dans l’invocation préliminaire de tous les sacrifices (Punyâhavâchana) se trouvent toujours les mots : "Puissent les deux dieux Obstruction et son maître être satisfaits" (cité par J. Herbert).

On peut dire qu’ésotériquement, Ganesh joue deux rôles principaux, qui sont d’ailleurs logiquement complémentaires. D’une part il représente l’appel à la force spirituelle par opposition à la force physique, que représente son frère Skanda, l’autre fils de Shiva et de Pârvatî. Et d’autre part, il est en quelque sorte l’intercesseur auprès des autres dieux, car pour se confier à l’un quelconque d’entre eux, il faut en effet utiliser des aspirations spirituelles que l’on peut avoir et développer, plutôt qu’attendre des résultats d’efforts accomplis personnellement sur le plan matériel.

Un épisode mythique montre bien l’opposition entre ce que représentent respectivement Ganesha et Skanda. Leurs parents voulurent un jour les "marier", c’est à dire leur donner une Shakti, le pouvoir de se manifester. Mais Shiva voulut les soumettre à une épreuve pour savoir lequel des deux enfants aurait la primauté de manifestation, c’est à dire, en termes de mythologie, se marierait le premier. Pour cela, il leur demanda à tous deux de faire le "tour de la terre" (c'est à dire d’embrasser la totalité des manifestations terrestres et de les dominer) le plus vite possible. Skanda s’élança aussitôt de toute sa vitesse, tandis que Ganesh, sans hâte aucune, se mettait à tourner respectueusement autour de ses parents. Comme Shiva lui en demandait l’explication, il répondit : "Il est dit dans les Veda que celui qui honore ses parents en tournant sept fois autour d’eux a autant de mérite que celui qui a fait sept fois le tour de la terre". Et il fut déclaré vainqueur.

L'apparence physique de Ganesh est décrite dans la Ganapati Upanishad (11-14).

"Il n'a qu'une défense, mais quatre bras. Deux de ses mains tiennent un lacet et un crochet. Ses deux autres mains font le geste d'accorder des dons (varada don mudrâ geste symbolisant 
un pouvoir divin ) et d'éloigner la crainte (abhaya sans-peur mudrâ).

Il est accompagné d'une souris. Il est rouge et obèse, ses oreilles ont la forme de vans. Il est vêtu de rouge et tous ses membres sont couverts de pâte de santal rouge. Il est vénéré avec des fleurs rouges. Infaillible, charitable, il est l'origine des mondes. Il apparaît, au début de la création, seul, avant la Nature, avant la Personne-Cosmique le 
Purusha, l'Esprit, la Conscience Suprême ".

"Quiconque médite sur sa forme prend une place importante parmi les réintégrés" (cité par A. Danielou).